INTERVIEW
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Benoit COLLIN
le lundi 20 septembre 2004 - 16 946 vues
C’est au cours de l’après-midi, qui précédait son récent concert à l’Elysée Montmartre, que Gentleman a accepté de répondre aux à nos questions. L’occasion pour nous de faire le point avec lui sur son parcours et de jeter un peu plus de lumière sur ce jeune artiste allemand, qui s’impose aujourd’hui comme l’acteur numéro 1 de la scène reggae européenne. Le forward qu’il reçoit à chaque fois qu’il vient nous faire une visite en est la preuve.
Reggaefrance / Tu as donc deux albums, le premier, “Troddin’ On”, et le suivant, “Journey To Jah”. Tu as aussi sorti un double live… / Oui, après “Journey To Jah”, nous avons beaucoup voyagé, fait beaucoup de concerts en Europe et partout dans le monde… Et c’était un rêve pour moi de faire un album live, depuis longtemps, mais beaucoup de maisons de disques se plaignaient, prétendant qu’un album live ne marcherait pas. Donc, c’était le moment pour nous d’en sortir un. Nous avons aussi un DVD, sur lequel tu peux voir comment on vit pendant la tournée. Tu peux aussi y voir des clips et il y a même des paroles de chansons dessus.
Peux-tu te présenter au public français et nous parler de tes débuts dans la musique ? Et bien, tu vois, je ne suis qu’un homme ordinaire, qui est tombé amoureux du reggae. Je suis en pleine tournée européenne pour promouvoir l’album “Journey To Jah”, qui est mon dernier album en date. Je suis en train de travailler sur un troisième album actuellement, qui sortira en septembre (ce mois-ci, ndlr). Le reggae va vraiment loin maintenant, je m’en rends compte. Je reviens tout juste d’Espagne, l’album n’est pas sorti là-bas, mais les gens chantaient les paroles et la salle était pleine… Désormais, nous devons adresser une louange pour les choses qui sont en train de se passer… Ce dont il est question, c’est très simple : c’est juste voyager à travers le monde, jouer ma musique et partager la vibe avec les gens ! Et ces choses sont tellement plus grandes que nous, je m'en suis rendu compte. Et mon nom est Gentleman, puisque tu me demandais de me présenter.
Sur tes deux albums, tu as fait beaucoup de combinaisons avec des artistes yardies (Bounty Killer, Luciano, Mikey General, Richie Stephens, Junior Kelly, etc…). comment cela a-t-il été possible ? C’est quelque chose qui est venu avec les années, ce n’est pas moi qui suis allé en Jamaïque en disant : « Mon nom est Gentleman. Bounty Killer, je veux faire une chanson avec toi. » Ce n’est pas comme ça que ça marche. J’étais là depuis longtemps et j’ai commencé à avoir des vibes avec les gens, sans jamais rien précipiter. Chaque marche que j’ai gravie, je l’ai gravie calmement et j’en ai tiré un enseignement. Chaque combinaison que tu entends avec moi, c’est une vrai vibe entre les deux artistes, ça ne peut pas être quelque chose de simplement musical. Tu ne peux pas respecter quelqu’un uniquement pour sa musique. Du genre, tu entends une chanson et tu te dis : « Ouais, je veux faire une chanson avec ce mec ! » Tu le rencontres et finalement, la vibe n’est pas bonne : tu ne peux pas faire une chanson avec lui. C’est vraiment important. Tu ne peux pas faire une bonne chanson s’il n’y a pas une bonne vibe, c’est comme ça.
Et quel est ton meilleur souvenir de toutes ces combinaisons ? Tu ne peux pas me demander ça, car chaque combinaison a sa propre histoire et chaque combinaison est appréciable individuellement. Donc, je ne peux pas dire quelle est ma combinaison préférée , ça change tout le temps. Je me réveille le lundi et j’adore le tune avec Bounty Killer, puis le mardi, je me dis que j’aime encore plus celle avec Capleton , ça change toujours ! Mais j’aime toutes ces chansons, c’est pour ça que je voulais les sortir.
En fait, tu as fait 2 combinaisons avec Capleton… Oui, j’ai fait un EP… Pour mon troisième single, Run Away, j’ai fait un EP et on a posé cette chanson dessus, en bonus track, c’était une autre combinaison avec Capleton, qui s’appelle Live it up.
Et la vibe était bonne ? C’était génial ! Il est plein d’énergie. C’est vraiment stimulant de travailler avec lui, parce qu’il va en studio, il enregistre sa partie et il te donne une telle énergie que tu te surpasses toi aussi. C’est vraiment, vraiment super de travailler avec Capleton.
Tu as aussi joué en Jamaïque, tu as fait des shows là-bas. C’est important pour quiconque aime le reggae ou fait du reggae de savoir comment ça se passe en Jamaïque. C'est la mère patrie du reggae, son fondement, l’endroit où tout a commencé. Les plus grands studios, les plus grandes productions, les plus grands artistes , tout ça est à Kingston. On peut y ressentir les vibes musicales , il faut y séjourner un moment et s’y connecter.
Tu as été bien reçu à chaque fois en Jamaïque ? Tu sais, tu as des bons et des mauvais partout dans le monde, mais je n’ai jamais eu de problème en Jamaïque. Les gens voient bien que le jeune que je suis fait sa musique avec amour et aime la faire, et ils ne peuvent pas me juger au-delà de ça. J’ai vraiment adoré ça, les gens viennent te voir et te disent : « Gentleman, j’ai apprécié tes paroles , parlons-en… » Ce n’est pas : « Est-ce que je peux avoir un autographe sur le ventre ? », comme parfois en Allemagne.
Je ne porte aucun jugement, mais en Jamaïque, la musique est vraiment plus importante que l’artiste lui-même. Nous sommes juste des instruments… Ce n’est pas de nous dont il s’agît , nous sommes juste des instruments et nous faisons avancer la musique de Jah, nous diffusons le message.
Tu as déjà joué en France l’année dernière, au Jamaican Sunrise. J’ai entendu dire que la vibe était terrible et les gens affirment que c'était le meilleur show du festival… Nous gardons ça bien en tête… Comme tu dis, « terrible ». Je me souviens, une fois, j’enregistrais une chanson en Jamaïque, je suis sorti du studio et j’ai demandé comment était la chanson et le mec m’a répondu : « Terrible ! » J’ai rétorqué : « Il faut que je la refasse alors ? » « Non, terrible veut dire bon ! » Pour revenir au Jamaïcan Sunrise… ouais, c’était terrible, pour de bon, c’était vraiment bien ! Les gens étaient pleins de vibes, pleins d’énergie, et ils chantaient les paroles avec moi. Ce qui m’a vraiment surpris, car l’album “Journey To Jah” n’était pas vraiment distribué en France, même si quelques pirates circulaient. Ca fait vraiment partie de ces shows qu’on n’oublie pas et pour ça, je dois dire merci au public français et à tout ce Sunrise. Ouais, c’était un big show, plein de vibes !
Avant ça, je t’ai aussi vu sur scène avec Beenie Man, dans cette même salle où tu te produis ce soir… Oui, c’était quelque chose de plutôt spontané : il était à Cologne, et c'est là où je vis. Je suis donc allé à son show et nous avons chanté ensemble…
Vous semblez être de bons amis… On s’entend vraiment bien et on s’est déjà bien amusé ensemble. C’est vraiment un animal de foire, Beenie Man, on peut vraiment avoir un bon délire avec lui. A Cologne, quand nous avons chanté ensemble, ce qui était une chose spontanée engendrée par Kingstone, un sound system, Beenie Man m’a dit : « Viens avec moi en tournée. Viens avec moi en France, viens avec moi en Angleterre… » Je suis donc allé en tournée avec lui, j’ai ouvert pour lui et j’ai appris beaucoup de tout ça. D’un point de vue musical, le groupe de Beenie, Ruff Cut , était vraiment, vraiment bon.
Qu’en est-il du mouvement reggae en Allemagne ? Car, tu es un des seuls artistes là-bas à chanter en patois… Je ne suis pas beaucoup en Allemagne ces derniers temps, tu sais. Mais chaque semaine, je reçois des K7 démo… Beaucoup sont du n’importe quoi mais certaines sont vraiment terribles. Il y a plein de jeunes là-bas, il y a donc un gros potentiel. Et je suis sûr qu’il y a plein de gens qui ont la vibe pour la musique et qui font leur propre production de leur côté, sans que personne ne s’en rende compte…
Ce qui se passe en Allemagne depuis les 5 dernières années, c’est que les gens sont enfin prêts pour la musique, les médias accordent plus d’attention au reggae. Parce qu’ils pensaient que Bob Marley étant mort, le reggae était mort. Tout particulièrement à la fin des années 80 et dans les années 90, ça marchait plutôt au ralenti. Maintenant ça revient vraiment et les gens savent que cette musique continue à se développer et franchit à nouveau une étape. Il y a vraiment une bonne vibe en Allemagne désormais.
Je me souviens, il y a 10 ans, j’avais ramené quelques disques de Jamaïque et je les avais joués avec le sound system Pow Pow. Quand je jouais cette musique, on me disait : «Vas-y, joue-nous autre chose…» Quand je prenais le micro pour animer, on me demandait pourquoi je parlais entre chaque chanson. Ou bien quand je faisais le pull up d’un tune, on me demandait : « Qu’est-ce qu’il y a ? Il y a un problème avec les platines ? ». Ils n’y étaient pas. Maintenant, ils sont prêts. Il y a plein de sound clashes là-bas, des grands festivals, comme le Summerjam, de nombreux artistes jamaïquains viennent en Allemagne. Il y a quelque chose qui bouillonne.
Que penses-tu de tes compatriotes du groupe Seed ? Ce sont de bons amis, depuis longtemps. On a commencé à la même époque en fait. Mais ils vivent à Berlin et je vis à Cologne, c’est un peu loin… Ils ont vraiment un très, très bon show sur scène, ils sont vraiment fous, pleins de vibes. Et ils sont vraiment big, ils sont en tournée européenne comme moi. Ils avancent bien, notamment dans la production, comme ce riddim sur lequel Tanya Stephens a un tune, le Doctor’s Darling. Mais c’est vraiment quelque chose d’international, Pierre a fait le riddim en France, puis Seed a refait le riddim en Allemagne et Tanya Stephens a enregistré son tune à Londres et le tune est numéro 1 à Trinidad. Tu vois, c’est quelque chose d’international.
Je t’ai déjà vu sur scène à Chemnitz, pendant le Splash festival, et j’ai remarqué que Seed et toi étaient les seuls artistes reggae à se produire sur la scène hip-hop , pourquoi, est-ce que c’est parce que c’est la plus grande ? Je ne sais pas, il faudrait demander au promoteur. Je ne sais pas pourquoi… Je pense qu’il devrait avoir une scène pour tout le monde et voilà tout, et ne pas installer d’autre scène.
Oui, mais dans ce cas, ça durerait 6 jours… C’est vrai. Mais tu vois, c’est dingue dans ce genre de festivals , comme au Summerjam il y a 2 ans, j’étais en train de chanter sur ma scène et Junior Kelly était en train de chanter sur l’autre scène au même moment… J’ai donc dit à mon groupe de baisser le son, encore et encore, et alors, je l’entendais, et je me suis senti confus, car il m’entendait et ce n’est pas bien. Il ne faut pas programmer autant d’artistes à un même show, monsieur le promoteur , juste un gros show et voilà. Ne le surcharge pas.
Et comment se passe ta tournée européenne ? Tu as beaucoup voyagé, tu es passé dans beaucoup d’endroits… Certains jours, je me réveille et je ne sais même pas où je suis, alors je demande au chauffeur du bus : « Tu sais où on est ? » Et il me répond : « C’est Madrid ! » ou « C’est Barcelone ! » ou « C’est Stockholm ! ». La tournée européenne, c’est quelque chose qu’on voulait faire depuis longtemps. On a beaucoup tourné en Allemagne , je ne veux pas dire que j’en ai assez de l’Allemagne, mais je voulais aussi voir d’autres endroits. La tournée européenne se passe donc vraiment bien , les gens viennent au concert, ils chantent les paroles, même si l’album n’est pas vraiment distribué. C’est sûrement l’aspect positif des gravures de CDs, car là où les gens ne peuvent pas acheter le CD, ils le gravent et ainsi ils peuvent chanter avec moi, et c’est génial ! Et je suis triste que ce soit bientôt fini , je vais en Suisse demain, puis je vais en Pologne et la tournée européenne est terminée.
Quand iras-tu aux Etats-Unis ? Nous avons un show prévu en Californie, en juin, le 17, ça s’appelle le Right River Bash ou quelque chose comme ça… Non, c’est le Sierra Nevada, le Sierra Nevada festival ! Mais ce ne sera pas avec le Far East Band, ce sera avec un groupe local.
Ce soir, tu es avec le Far East Band , sont-ils définitivement ton unique groupe ? Oui. Je veux dire, je travaille avec de bons musiciens dans tous les cas, mais c’est un groupe qui habite en Allemagne et je travaille avec eux depuis longtemps maintenant. Je ne les ai pas lâchés et ils ne m’ont pas lâché. Mais parfois, certains promoteurs, comme aux Bahamas, en Jamaïque ou aux Etats-Unis, ne peuvent pas assurer 17 billets d’avion et 17 chambres d’hôtel , donc c’est dur d’avoir tout mon groupe partout dans le monde.
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