INTERVIEW
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Karl Joseph
le lundi 28 juin 2004 - 15 367 vues
Quelques heures à peine avant son passage sur la scène du Garance Festival, c'est un Beenie Man fatigué que nous retrouvons dans la grande suite de son hôtel parisien. S'apprêtant donc à faire une sieste (ce qui fut salvateur quand on sait le feu qu'il a mis à Bercy après), ce grand monsieur du dancehall a tout de même accepté d'échanger quelques mots avec nous. Entretien détendu autour d'une bière ; le calme avant la tempête...
Reggaefrance / Avant toute chose, merci Beenie Man de prendre un moment pour parler avec nous, c’est vraiment un plaisir, je suis un vrai fan. / Bless it, man, tout le plaisir est pour moi.
Depuis ton album “The Doctor”, tu as vraiment internationalisé ton style avec les 2 albums suivants, comment sera le prochain, “Back To Basics” ? C’est pour cela que l’album s’appelle “Back To Basics”, car l’album sera comme “The Doctor”, comme “Many Moods Of Moses”. C’est comme un retour au dancehall, afin de donner au monde le dancehall tel qu’il est. Le dancehall s’inspire du monde, de ce qui se passe, c’est la réalité. Ca concerne ce que tu as devant les yeux, ce n’est pas seulement une question de bling bling, ni du nombre de voitures que tu as ou du nombre de maisons que tu possèdes, ça concerne les gens. Cette musique parle donc de politique, elle parle des hommes et de femmes, cette musique concerne tout le monde. C’est le moment pour vous de donner au dancehall toute sa dimension, comme je pense être celui qui a commencé tout ça, je me suis donc dit : «Retournons-y !».
Depuis Tropical Storm, tu as sorti beaucoup de gros hits, beaucoup de singles, comme Dude avec Ms. Thing. J’ai entendu dire que ce tune apparaîtrait sur ton album, est-ce que cela signifie qu’il sera, comme “The Doctor”, plutôt une compilation de singles ? Non, ce n’est pas une compilation. Il y a quelques singles sur l’album qui ont déjà été produits, mais seulement quelques singles. C’est un tout nouvel album, ce n’est pas une compilation, définitivement.
J’ai lu que tu avais mal commencé l’année 2004, car tu as eu un gros accident de voiture… Ce n’est pas que ça a mal commencé, c’est juste une phase de la vie que chaque homme doit affronter. C’est-à-dire que tu serais censé être découragé, mais tu ne te décourages pas, tu persévères. J’ai eu un grave accident, j’ai failli y perdre la vie, mais j’en ai tiré de la force et je suis ici à présent. Il ne s’agît pas du passé ou de ce qui s’est passé, ce dont il s’agît, c’est ce qui se passe maintenant et ce qui se passe maintenant, c’est “Back To Basics”.
Tu fais toujours partie de Shocking Vibes ? Toujours.
Vous avez plein de jeunes talents, comme Patchy, Shadu et Calibe, lequel d’entre eux percera, selon toi ? Nous avons quelques artistes qui percent, ils font leurs trucs… J’ai lancé un nouveau label, qui s’appelle 357, et nous avons un riddim, qui s’appelle Scoobay et qui est le riddim le plus populaire en Jamaïque en ce moment.
Il est aussi très populaire ici… C’est nous ! C’est notre beat et notre production, à moi et à mon partenaire, Mario.
Ta collaboration avec Virgin se passe-t-elle bien ? Es-tu satisfait de travailler avec eux, avec cette grande major ? C’est une bonne major. Ils t’emmènent là où tu veux aller, et c’est donc le moment pour eux de répandre ma musique à travers le monde. C’est bien, crois-moi.
Toujours sur ton album “Tropical Storm”, tu t’es associé avec les fameux producteurs, The Neptunes, pour deux tunes, comment était-ce de travailler avec des artistes pareils ? J’ai souvent travaillé avec The Neptunes. Pour tous mes albums chez Virgin, j’ai travaillé avec The Neptunes. The Neptunes sont mes amis depuis longtemps et ils étaient sur mes albums. Mais ce prochain album est un album de dancehall jamaïquain, nous avons donc travaillé avec des producteurs jamaïquains. Mais avoir The Neptunes sur un album, c’est un privilège, car ce sont de grands artistes, ils aiment la musique et en font tellement bien. Ils sont dangereux ! Une partie de cette musique qu’ils font, on ne dirait même pas du hip-hop, ils font de la world music, du dancehall, de tout. C’est génial !
Tu as parlé de producteurs jamaïquains et je voulais savoir lesquels tu as choisis pour Back To Basics” ? On a beaucoup travaillé avec Dave Kelly, Tony Kelly, moi-même, Don, Lenky Marsden, tous ces jeunes producteurs, Black Shadow… Ils sont tous sur l’album.
Et y a-t-il des combinaisons sur cet album ? Pas beaucoup. Cet album a surtout à voir avec moi.
Je t’ai aussi vu faire une brève apparition pendant un show de Buju Banton à Paris, l’été dernier, et tu as aussi fait une combinaison avec Gentleman, l’artiste allemand, qui ouvrait le show pour ta tournée européenne, tu sembles vraiment apprécier faire des combinaisons sur scène ? Ouais, c’est une bonne chose, il faut aimer partager les vibes, car les vibes sont là pour être partagées. C’est ça la musique, partager et aimer. La musique sert à amuser, si tu viens pour amuser le public, c’est bon. Ce n’est pas une distraction, c’est juste un amusement, afin que tu sois bien. C’est bien d’être important, mais c’est encore plus important d’être bien. Donc, quand on partage la musique, on obtient des vibes différentes, Gentleman est allemand, moi je suis jamaïquain, il fait du dancehall avec des vibes jamaïquaines, c’est magnifique !
Et peut-on s’attendre à une combinaison ce soir, avec Lady Saw peut-être ? Lady Saw est programmée ? Et bien, si elle est programmée, on va faire des choses ensemble. Pas de problème, Lady Saw, c’est ma sœur !
Qu’en est-il des clashes ? La dernière fois qu’on s’est rencontré, tu nous as parlé de vilaines histoires avec Capleton et son crew et ce soir, Capleton est programmé aussi… Ouais, c’est bien ! Le clash est fini. Il n’y a plus de guerre entre Capleton et moi. C’est fini.
Joues-tu toujours au football ? Ouais, tout le temps ! Je suis un buteur.
Marques-tu souvent ? Je marque plein de buts, oui, je suis un buteur !
Je t’ai vu dans un reportage vidéo, tu jouais un match avec plein d’autres artistes jamaïquains et tu as marqué effectivement… Bien sûr, il faut que je marque, je dois marquer.
Et tu suis la coupe d’Europe, qui a lieu au Portugal ? Tu es au courant pour la France ? Oui, la France a perdu, j’ai vu le match hier soir.
J’ai lu que tu étais aussi très concerné par l’éducation des enfants en Jamaïque, agis-tu pour cette cause ? Oui, je dois le faire. Je fais construire des écoles et ce genre de choses, comme ça ils peuvent aller à l’école. Car pour avoir une bonne connaissance de ce qui se passe dans la vie, tu n’as pas besoin d’être un génie, tu dois juste connaître les bases de la vie, ça t’aidera beaucoup. Parce que tu as des gens qui sont très bien éduqués, mais ils n’ont pas la connaissance de ce qui se passe, parce qu’ils n’ont pas l’expérience de la rue. Il faut avoir ces deux choses mélangées. Les enfants d’aujourd’hui, ces enfants vont à l’école et tout ce à quoi ils pensent, c’est à s’amuser, à quand est la pause déjeuner, à quand est la récréation. Nous avons donc construit des écoles, afin que tous ces enfants, quand ils rentrent de l’école, retournent à l’école, cette fois pour apprendre comment apprendre. Ainsi, quand ils vont à l’école, ils sont plus attentifs. Donc, s’ils ont de bonnes notes, ils n’ont pas à subir la pression, s’ils ont de mauvaises notes, il faut leur mettre la pression, car il faut qu’ils apprennent. Ce n’est pas comme les enfants à mon époque en Jamaïque - je leur enseigne ça - car ils considéraient ça comme acquis, l’école était gratuite et personne ne payait de facture, donc ils allaient juste à l’école et ils y venaient pour ne rien apprendre. Ainsi, pas mal d’entre eux en sont sortis avec seulement l’expérience de la rue, pendant que des gens comme moi allaient d’école en école et cumulaient l’expérience de l’école à celle de la rue. Mes enfants doivent suivre le même chemin et chaque enfant que je connais doit emprunter le même chemin, donc, si tu ne vas pas à l’école, ne pense pas à moi.
Avez-vous des cours de musique ? Oui, nous avons des cours de musique. Nous avons des cours d’informatique, nous avons des cours de langage, nous avons de tout. Nous avons des enseignants d’université qui viennent et enseignent aux enfants.
Tu nourris donc de grands espoirs pour la Jamaïque dans le futur ? Oui, c’est ce que nous devons faire, nous devons construire le pays. Oublie le gouvernement et les politiques. Qu’est-ce que toi, tu peux faire ?
Qu’espères-tu pour la Jamaïque dans les 5 prochaines années ? La Jamaïque promet d’avoir un bon futur désormais, tout le monde se tourne vers le pays, mais la politique doit changer. Quand elle aura changé, alors le pays ira bien. Mis à part ça, la Jamaïque est le meilleur endroit, crois-moi.
La musique est certainement à la racine de tout ça… Oui, la musique est divine en Jamaïque. C’est le seul chemin par lequel le message peut passer. La musique, le seul moyen par lequel le pays peut prospérer, la musique. Et la strong ganja…
Penses-tu que des entreprises comme Puma, qui s’intéressent à la Jamaïque, pourraient aider dans ce sens ? Oui, ils font du bien à la Jamaïque, c’est bon pour le pays, mais nous avons besoin d’encore plus d’adhésion. Et puis, l’équipe de football arrive, on va travailler dur cette fois, on va le faire…
Feras-tu partie de l’équipe nationale ? Moi ? Je serai trop occupé pour faire partie de l’équipe nationale. Si je n’étais pas si occupé, j’aurais joué pour le pays, crois-moi.
As-tu un mot ou un big up particulier à passer ? Juste big up à tous mes fans et à ceux qui iront chercher l’album quand il sortira, “Back To Basics”, un album terrible !
Rapport à ton show de ce soir, quelle est la principale différence, selon toi, entre le public français et européen et le public jamaïquain ? Les Jamaïquains sont des fous, à peine tu entres en scène, qu’ils deviennent fous et ils le restent tout au long de ta performance. En Europe, tu dois dire aux gens quoi faire, les mettre dans l’ambiance, essayer de les faire bouger, tu dois leur donner une performance carrée, voilà tout, et ils te suivront. Ils ne parlent pas anglais, mais ils chantent du reggae.
Peut-être le challenge est-il plus élevé en Europe ? Non, ça ne l’est pas. C’est génial ! J’adore voir du monde. Quand je vois plein de gens, je deviens fou. Tout le monde doit bouger, c’est pour ça que je suis là, pour faire bouger les gens, pas pour faire se tenir les gens debout en me regardant : «Hey ! Je suis un fou !». J’adore les choses folles...
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