INTERVIEW : WAYNE MARSHALL

Propos recueillis par : Benoît Georges
Photos : Benoit Collin
le mercredi 12 juin 2013 - 27 904 vues
En dépit de nombreuses rencontres, nous n'avions toujours pas d'interview de Wayne Marshall. C'est désormais chose faite : marié à Tami Chynn, il nous reçoit dans leur belle maison sur les hauteurs de Kingston, en toute simplicité. Nous nous entretenons alors qu'il est, selon ses propres dires, "à un tournant de [s]a carrière". Depuis ses débuts dans la musique, Wayne Marshall a su mener sa barque. Side-kick de Bounty Killer avec Elephant Man, puis avec Vybz Kartel à la naissance de l'Alliance, il reprenait le flambeau des chanteurs de dancehall.
Avec de nombreux hits à son actif, Wayne Marshall a su se maintenir à flot, et il travaille depuis l'an dernier à son nouvel album, aux côtés de Damian Marley et Stephen Marley sur leur label Ghetto Youth International. Intitulé "True Colors" (simplement parce qu'il montre mes vraies couleurs musicales"), on y retrouvera de nombreux invités : Junior Gong himself, Tarrus Riley, Capleton, Bounty Killer et même son propre fils de sept ans ("A son âge, il montre un amour et un talent véritables pour la musique"). Entretien.
Reggaefrance / Quel est ton background ? Tu as commencé par travailler avec Ward 21 ? / Quand j'étais enfant, on s'amusait à chanter, sans se prendre au sérieux. Puis j'ai déménagé dans une autre communauté, pas très loin de chez King Jammy. Je traînais avec ses fils Trevor, Jam2, Jam Jam… Nous étions de jeunes enfants. Ils avaient le même amour pour la musique que moi. Finalement, ils m'ont présenté à Ward 21, qui n'étaient encore que des selectors pour le sound system de King Jammy, ils étaient en train de faire la transition pour devenir ingénieurs du son. Ils étaient donc notre relai pour entrer dans le studio, ils savaient comment utiliser le matériel. Jam 2 adorait les drum machines, c'est lui qui composait les riddims, et nous chantions dessus… Ils ont percé peu de temps après, et ont pu m'introduire dans le business. On était toujours dans le studio, on y a rencontré Bounty Killer, Elephant Man, Determine, Nitty Kutchie, Capleton… qui étaient à l'époque des artistes en devenir. Ils m'ont beaucoup inspiré. Bounty Killer m'a pris sous son aile, et c'est ainsi que j'ai percé dans la première ligue.
Quel était ton premier enregistrement professionnel ? C'était Story don't tell sur le Bada Bada riddim (produit par King Jammy, ndlr), c'était quand le Bada Bada riddim est né. Ensuite, il y a eu le Joint riddim (Champagne Wishes), puis le Bellyas (Realize). Il y a aussi d'autres enregistrements avec Jam2 avant cela, sur des riddims qui ne sont jamais sortis officiellement. C'est comme ça que j'ai commencé.
Tu t'es ensuite allié à Vybz Kartel, vous étiez les deux jeunes artistes que Bounty a pris sous ses ailes… Oui, c'est vrai. Nous avons rencontré Vybz Kartel peu après. J'étais dans la musique, les gens connaissaient mon nom grâce à Bounty Killer et Ward 21. Quand nous avons rencontré Kartel, on l'a vu comme un immense espoir pour le futur. Ses jeux de mots, son éthique du travail étaient admirables. Nous l'avons encouragé et lui avons donné une plateforme pour entrer dans le business, Bounty restant le boss bien sûr. C'était une période musicale passionnante pour nous.
 Je suis fier de cet album, je pense qu'il sera un tournant dans ma carrière. 
Avec Kartel, vous avez connus de gros hits en duo. Yeah ! Sa première percée était avec New Millenium. C'est moi qui chante le refrain. C'était vraiment la première fois que Kartel s'entendait à la radio de façon régulière.
Don Corleon nous disait que Vybz Kartel était d'abord seul pour ce titre, et qu'il t'a contacté parce qu'il estimait que le morceau avait besoin d'un chanteur. Exactement, je connaissais Don Corleon depuis longtemps. Vybz Kartel parlaient souvent de ce moment où il a appris que j'allais faire le refrain de New Millenium. Il disait : "J'aime ça ! J'ai Wayne Marshall pour faire le refrain !" C'était de la folie, à l'époque. Au moment où on l'a enregistrée, j'ai su que cette chanson allait marcher.
Plus récemment, tu as également travaillé avec Sean Paul. Oui, nous avons beaucoup travaillé ensemble. J'ai fait un peu de production sur son album "Tomahawk Technique". Ma première série, c'était le Matrimoney riddim. Je pensais à la mélodie, je déambulais dans la maison en chantonnant Good Ole Wife (le titre de son morceau sur la série) et quand le riddim m'est venu, je suis devenu fou ! Tami (Chynn, sa femme, ndlr) ne comprenait rien. Je suis allé voir les gars de Washroom, avec qui je travaille régulièrement, pour leur parler de mon idée, et nous avons fait une co-production. J'ai aussi fait Wedding Crushes avec Sean Paul et Future Fambo, qui est sur l'album "Tomahawk Technique". C'est une très belle exposition. J'ai beaucoup travaillé avec Sean Paul. Il apprécie mes chansons et je lui en suis reconnaissant.
My heart, avec Baby G, était aussi un gros hit. Oui ! C'était un super single. Il y a une très bonne alchimie entre Baby G et moi. Nous avons bouclé la boucle, retour au studio de King Jammy, là où j'ai chanté ma première chanson. J'aime cette zone de confort, je me sens à l'aise quand je travaille à Waterhouse.
Ton premier album, "Marshall Town", est sorti chez VP. Le contrat ne portait que sur un seul album ? Oui, seulement un album. Je n'ai pas vraiment aimé le résultat, car je ne suis pas le genre d'artiste qui souhaite simplement empiler des singles pour faire un album. Je veux faire un album comme un objet de collection, que les gens aient comme un trésor. J'en suis là aujourd'hui. A ce stade de ma carrière, je veux créer un album exclusif, avec Damian Marley à la production. C'est une nouvelle ère, une nouvelle étape dans ma carrière. J'ai hâte.
Que retires-tu de votre travail ensemble sur ton nouvel album ? Damian m'a donné beaucoup d'attention. Il est jeune, proche de mon âge, mais il est là depuis si longtemps… Il est ce qu'on appelle le "plus jeune vétéran" ("youngest veteran", ndlr). C'est un maître, littéralement un maître dans ce qu'il fait. C'est un scientifique et un perfectionniste. Cela m'a endurci de travailler avec lui tout comme avec Stephen Marley. C'est un vrai professionnel. Je suis très content des chansons que nous avons réalisées. Je suis fier de cet album et je pense qu'il sera un tournant dans ma carrière. Travailler avec les Marley est l'expérience d'une vie. Ce sont des auteurs, des interpretes et des producteurs qui aspirent à la perfection chaque jour. Ils m'ont inspiré pour élever mon niveau et me montrer à la hauteur.
L'an dernier, sortait la méga combinaison Go Hard, comment as-tu réuni tous ces artistes, y compris Vybz Kartel par téléphone ? Go Hard sera aussi présente sur l'album. C'était une super expérience de monter ce projet. J'ai contacté tout le monde individuellement, et aucun artiste ne savait ce que les autres avaient fait. Quand on a réuni toutes les parties vocales, c'était comme un puzzle dont toutes les pièces s'emboitent parfaitement. Vybz Kartel m'a envoyé son couplet sur une voicenote, mais il n'a pas pu le chanter en studio à cause de sa triste situation. J'ai donc décidé de m'en servir avec son autorisation. C'était un peu comme dans un film, tout le monde se demandait comment on avait pu réunir tous ces soi-disant "différents" artistes sur le même morceau. Mais nous avons tous des expériences en commun au fil des années, et cette force dépasse n'importe quelle embrouille qui ait pu arriver par le passé.
Tu as toujours aimé jouer avec le thème de la ganja, en reprenant beaucoup de morceaux connus. Est-ce que tu en as d'autres de prévus ? Yeah, always have the weed tune dem ! J'ai une weed tune mortelle qui va sortir. C'est un super enregistrement avec Tarrus Riley, plus one-drop. Elle s'appelle Nah Give Up. Elle sera aussi sur mon album. Je suis très emballé par la musique que je sors ces derniers temps. Je pratique aussi le piano, j'améliore mes capacités musicales et mon chant. Je suis dans un bien meilleur endroit aujourd'hui que je ne l'ai jamais été, surtout musicalement. Je me suis vraiment plongé dans les instruments et la théorie de la musique. C'est génial de comprendre, d'élargir le spectre…
Tu enregistres de plus en plus de chansons d'amour, est-ce lié à ton mariage avec Tami Chynn ? J'imagine qu'on peut dire ça… Mais je ne dirai pas que 90% de mes chansons sont des chansons d'amour pour autant. C'est peut-être la maturité. J'ai toujours eu un message positif : je ne suis pas un auteur négatif, ce n'est pas mon genre de truc. Bien sûr, le dancehall est un milieu hardcore, il faut rester dans le ton et faire aussi ce que le public peut attendre d'un artiste dancehall. Mais j'aime aussi être là où l'on ne m'attend pas et faire des choses différentes. Je n'aime pas être catalogué.
Le mariage t'a adouci ? (rires) Je dirais plutôt que j'ai mûri ! Je suis plus responsable des chansons que je sors.
"I Know", extrait l'album "True Colors" :
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