INTERVIEW : SPYDA TEAM
Interview et photos : Sébastien Jobart
le jeudi 02 mai 2013 - 19 184 vues
Après des années à tisser sa toile à coups de mixtapes et net tapes, il est l'heure pour la Spyda Team de livrer son premier album, "3 000 Niggawatts". Dans les bacs depuis le 22 avril, ce premier album fait la synthèse des univers respectifs de Caporal Nigga et Mickee 3000. Entre dancehall et reggae, ambiance festive ou textes conscients, en duo, en solo, ou avec des invités : Taïro, Aidonia, Daddy Mory… "On aime bien rencontrer les gens, écrire les morceaux ensemble, prendre le temps de bien enregistrer.C'est une vibe qu'on a pris avec les gens."
La Spyda Team entend bien défendre cet album sur scène cet été, en format sound system mais surtout avec le backing band I-Dwyns, "notre dream team pour défendre le projet en live avec des musiciens".
Reggaefrance / Ce premier album arrive après de nombreuses mixtapes, net tapes, etc. Vous travaillez depuis longtemps dessus ? Spyda Team / Mickee 3000 : Pour arriver avec un projet abouti, il fallait bien préparer le terrain en amont, sortir des morceaux et fidéliser un public… "Underground business", "Malade Mental", les net tapes, tout ça préparait ce projet, qui a mis du temps à se construire. C'était nécessaire. Tu ne peux pas arriver de but en blanc.
Caporal Nigga : On estime que faire un album nécessite une compétence. On a commencé depuis longtemps, notre école c'est celle des sound systems, on a sorti plusieurs mixtapes… Une fois que le public t'a accepté, alors tu peux prétendre à sortir un album. Le travail sur "3 000 Niggawatts" s'est étalé sur cinq ans. On a travaillé en parallèle sur un DVD qui a pris beaucoup de temps, et qui sortira peut-être l'année prochaine… Entre-temps, on a aussi sorti des net tapes… Certains morceaux étaient trop vieux, plus dans l'air du temps, on les a enlevés, on en a refait d'autres… En fait, si tu comptes tout le travail, on a fait trois albums (rires) !
C'est l'album de la Spyda Team mais vous préservez vos identités : vous chantez en solo, ou en duo, comme vous avez toujours eu l'habitude de faire. Mickee 3000 : Exactement. Le premier projet était construit ainsi, et c'est une formule qui, je pense, nous va bien. Cela nous permet de bien nous exprimer artistiquement. C'est un autre délire qu'être un duo, où sur chaque morceau tu es à deux.
Caporal Nigga : Ca peut même être saoulant. Nous, on aime beaucoup faire dans l'éclectisme. Je ne vois pas faire un album uniquement dancehall, rap ou reggae. J'aime entendre cette diversité sur l'album. Sur certains sujets, il faut que je sois seul, pour Mickee c'est pareil.
Cet album est produit par votre propre structure La Toile Productions. Vous avez endossé tous les rôles pour cet album ? Caporal Nigga : On dit qu'on a été au four et au moulin, c’est-à-dire qu'on a touché à tout, mais on n'a pas tout fait. On ne vous apprend pas la situation de l'industrie du disque en France. Pour trouver un label, c'est très compliqué. A un moment, on a failli péter un câble, le projet dormait depuis longtemps, donc on s'est décidé à le sortir nous-mêmes. Au final, on a décidé de monter notre structure, La Toile Productions, et notre studio, à Montreuil. Bref, on n'a pas voulu tout faire nous-mêmes, parce que ce n'est jamais bon, donc on a touché à tout, mais on s'est fait aider, tout en conservant un regard sur ce qui se faisait.
 Entendre "Est-ce que vous avez vos guns ?" quand tu joues à Reuilly Diderot… (rires) 
Mickee, dans Parle Pas, tu racontes qu'on t'a demandé de changer tes couplets, d'éviter certains sujets… Ce sont des choses qu'on vous a dites en maisons de disques ? Caporal Nigga : Les maisons de disques sont très disposées à entendre certains discours des artistes dancehall, mais ce sont parfois des discours qu'on n'a même pas. Quand tu es artiste dancehall en rendez-vous en maison de disques, la première question qu'on te pose, c'est si tu es homophobe. La seconde, c'est sur la ganja, alors que la Spyda n'a pas de ganja tune !
Badminded ou Parasites sentent le vécu. Vous vous êtes construits dans l'adversité ? Caporal Nigga : Quand tu arrives dans le milieu reggae dancehall, ce n'est pas le monde des bisounours. Mes premiers sound systems, pour avoir le micro, il fallait l'arracher. Il faut s'imposer, prendre la place parce que personne ne te la donnera.
Mickee 3000 : C'est un des thèmes de la vie d'un artiste dancehall. Il faut rester debout, tu auras toujours quelqu'un qui viendra chercher des noises. C'est le jeu, ça reste une compétition positive.
Caporal Nigga : Pas comme dans le rap, où c'est parti dans autre chose. En France, dans le reggae et le dancehall, ça reste bon enfant.
Sac au dos clôt l'album sur une note très personnelle, sur une ambiance plus calme. C'est une belle fin… Caporal Nigga : On a décidé de finir comme ça. Le titre rappelle notre style vestimentaire sur scène. Par le biais du sac, on a voulu raconter ce qui nous a menés jusqu'à cet album, notre parcours.
Mickee 3000 : Cette chanson résume tout notre parcours, même avant notre rencontre, jusqu'à "3000 Niggawatts".
Un mot sur les interludes : il y a cette parodie de l'émission Enquête exclusive, un faux reportage dans le monde du reggae et des sound systems… Mickee 3000 : La place du reggae dans les médias est limitée à un regard : celui de la violence, de la drogue… Avec toujours l'ombre de Bob Marley, comme s'il ne s'était rien passé depuis. Grâce à ces clichés, ils maintiennent la musique dans une certaine place…
Caporal Nigga : Dans cet interlude, il y a une double critique. La critique des médias, qui peut paraitre un peu facile dans le sens où l'on sait très bien que les médias aiment le sensationnel ; on a aussi caricaturé des sound sytems qui jouent de codes qui sont à des années-lumière de leur propre réalité. Entendre "Est-ce que vous avez vos guns ?" quand tu joues à Reuilly Diderot… (rires)
Mickee 3000 : C'est du théâtre !
Le livret montre les couvertures de trois livres : "Nations nègres et culture", de Cheikh Anta Diop, "Peau noire, masques blancs" de Franz Fanon et "Discours sur le colonialisme" d'Aimé Césaire. Ce sont trois livres importants pour vous ? Mickee 3000 : Ce sont des livres qui nous ont fait prendre conscience de certaines réalités. Ils nous ont fait comprendre notre culture. Ça fait partie de nous, ça nous accompagne au jour le jour.
Caporal Nigga : On l'a mis dans le livret pour illustrer les paroles de More and more. Dans ce morceau, je ne parle pas spécialement de négritude mais de rapports de classe. Ces idées-là me viennent de certaines lectures. Je ne suis pas un grand lecteur depuis gosse, je m'y suis mis sur le tard. Je trouve que ces livres font un bon parallèle entre la négritude telle qu'elle est perçue aux Antilles et que l'a décrite Aimé Césaire, et l'Afrique, avec Frantz Fanon qui a vécu en Algérie et Cheik Anta Diop, qui parle des Egyptiens, de l'empire du Soudan… Ces auteurs-là doivent être lus. Ils n'ont pas un rapport si conflictuel que ça avec les peuples occidentaux. Quand tu parles d'Afrique ou de négritude avec des personnes néophytes, elles tombent souvent dans la caricature et le manichéisme. C'est pour ça qu'il est intéressant de lire ces livres.
Vous allez défendre l'album en live cet été avec le backing band I-Dwyns qui vous accompagnera. Caporal Nigga : Le show on l'a conçu en quelque sorte comme une comédie musicale. Il y a une cohérence, avec un début et une fin, des interludes…
Mickee 3000 : On t'amène petit à petit dans notre univers, c'est une histoire. Pas simplement une succession de morceaux. Le live, il n'y a rien de figé, c'est ça qui est bien.
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