INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le jeudi 10 janvier 2013 - 8 637 vues
Découvert en 2010, Protoje est l'un des plus sûrs espoirs de la scène reggae jamaïcaine, et l'un des fers de lance de la nouvelle génération d'artistes. Son premier album, "The Seven Year Itch", produit par son cousin Don Corleon, mettait en valeur son sens de l'écriture.
Actuellement en préparation, son nouvel album, "The Eight Year Affair", toujours produit par Don Corleon, sera probablement l'un des temps forts de l'année 2013.
Reggaefrance / Après "The Seven Year Itch", comment est né "The Eight year affair" ? / Tout le concept de "The Seven Year Itch" est basé sur cette démangeaison ("itch" en anglais, ndlr) qu'éprouvent les hommes mariés au bout de sept ans. Je regardais le film de Billy Wilder, "Sept ans de réflexion", avec Marylin Monroe, et ça m'est resté en tête. Quand je me suis penché sur mon second album, je me suis dit : "Ok, les sept ans de réflexion sont passés". Ce qui arrive ensuite, c'est que tu as une liaison, tu grattes là où ça démange (rires) ! J'ai vu l'alchimie prendre, j'étais entendu. Il était temps que je réalise que j'avais une histoire d'amour avec la musique, et "The Eight year affair" est né de cette façon.
Comment le décrirais-tu musicalement ? C'est une continuité dans le sens où il montre ma croissance, le chemin que j'ai accompli depuis deux ans que mon premier album est sorti. Je suis plus en phase avec le son qu'on a voulu sur ce deuxième album. Il y avait plein de choses que je voulais faire sur le premier album, mais qui n'ont pas été possibles. On a voulu explorer à la fois les paroles et le son. Sur le premier album, je voulais surtout me présenter, je parlais de moi. Là, je veux parler de ce que je vois autour de moi, de ce que je veux dénoncer ou défendre… Il sera moins introverti que le premier album. Il y aura toujours des éléments personnels, mais je voulais être plus dans l'observation, à l'écoute du monde extérieur.
Des chansons comme Who dem a program… Right ! Il n'y avait pas de chanson comme cela sur le premier album. Celle-là, je voulais vraiment la faire. Les gens ont tendance à vouloir définir les artistes qui apparaissent, mais je pense qu'il faut leur laisser temps de respirer, grandir et évoluer. Qui sait ? Peut-être que ce que je ferai dans six ans n'aura rien à voir avec ce que je fais actuellement. Je représente la Jamaïque, les Jamaïcains et l'Afrique, mais je ne qualifie pas ma musique. Ce n'est que de la musique, je vais exprimer ce que je ressens.
 Qui sait ? Peut-être que ce que je ferai dans six ans n'aura rien à voir avec ce que je fais actuellement.  This is not a marijuana song a un titre ironique, avec sa pochette représentant des régimes de bananes… En Jamaïque, on a les ganja tunes, les gun tunes, les girl tunes… Quand j'écris ma musique, je ne vois pas les choses de cette façon. Par exemple, quand j'ai écrit No Lipstick, les gens pourraient voir cette chanson comme une ganja tune, mais c'était plus que ça. C'était à propos de moi et mes relations avec ma femme, la marijuana étant ce qui nous liait, dans cette histoire. Tout comme Wrong side of the law, ce n'est pas une ganja tune. Cette chanson parle de marijuana, certes, mais elle parle surtout des lois sur la marijuana, et comment les gens se font arrêter pour avoir fumé : ce n'est pas seulement une chanson sur le fait de fumer la ganja mais sur les effets que cela a sur notre société. Quand j'ai écrit This is not a marijuana song, j'étais high, il était trois heures du matin... J'ai commencé à chanter des éléments du troisième couplet ("What is the new when you consider the old"), j'ai commencé à penser à plein de choses. J'ai écrit sur ce que l'herbe me faisait ressentir. J'ai décidé de l'intituler This is not a marijuana song car tu m'entends dire des trucs comme : "This is not marijuana music, just a message to the ones that use it, don't abuse it" ("Ce n'est pas une musique pour la marijuana, juste un message pour ceux qui en usent, n'en abusez pas", ndlr). Pour moi, cela allait plus loin que ça, et je ne voulais pas que cette chanson soit qualifiée de weed tune. Quelqu'un a dit : "Pourquoi ne pas l'appeler 'This is NOT a Marijuana Song' ?" et ça m'a plu. Les gens se posent des questions, du coup.
Tu as fait appel à d'autres producteurs que Don Corleon pour cet album. Don Corleon produit l'essentiel de l'album. "The Eight Year Affair" est la suite de "The Seven Year Itch", donc je voulais une continuité. J'ai aussi travaillé avec Soul Vybz Music (Evil Display), Nico Browne (This is not a marijuana song)... Les gens disent que je n'enregistre que pour Don Corleon, mais ce n'est pas le cas. Simplement, Don a établi des standards pour ma musique dont j'ai besoin, les riddims doivent être de ce niveau. Je suis très difficile sur les riddims que je choisis. La majorité de l'album est donc produite par Don Corleon, mais d'une manière que tu n'as jamais entendue auparavant. La production est vraiment différente, et Don montre sa versatilité de producteur, il peut faire tellement de choses différentes…
Tu cites beaucoup d'artistes dans tes chansons, certains apparaissent même dans tes clips. Quand tu es heureux, tu veux partager ton bonheur. Je suis conscient que les yeux du monde sont sur ma musique, et il y a beaucoup d'artistes que j'aime beaucoup. En écoutant ma musique, les gens m'entendent parler d'autres artistes, qu'ils iront peut-être écouter ensuite… Un artiste comme I-Wayne, pour qui j'ai beaucoup de respect – il est à un autre niveau, que j'espère atteindre un jour- a inspiré ma musique. Si j'écris une chanson et qu'une rime avec son nom me vient, je ne suis pas timide, je l'écrit. Comme dans The 7 Year Itch, quand je parle de Damian Marley et de Stephen Marley. Quand j'ai entendu Welcome to Jamrock, ça a changé ma vie et ça m'a aidé à m'améliorer en tant qu'artiste. Je le dis, et ce qui doit arriver arrivera. Je dis ce que je veux... Il y a un mouvement, une résurgence en ce moment en Jamaïque, avec les Raging Fyah, les Kabaka Pyramid, Jah9, Chronixx, Professor, No Maddz qui arrivent sur la scène. Si j'ai de l'attention, j'aime la partager pour faire briller les autres. C'est aussi pour cela que je fais référence à mes collègues. Tu regardes mes vidéos, tu les vois ; tu regardes leurs vidéos, tu me vois… On essaie de préserver une unité. J'aime montrer au monde qu'il y a de l'unité dans le reggae.
Sur ton site, tu listes tes dix influences musicales les plus importantes. Pour le moment, tu as dévoilé le n°10 : le groupe de rap américain Bone Thug-N-Harmony. Qui sera le premier de cette liste ? (Il hésite) J'hésite entre deux artistes… Je dois dire Buju Banton. J'étudie son style depuis l'âge de 10 ans jusqu'à maintenant, j'ai vraiment scruté son style. Mais sans Ini Kamoze, je ne serais pas la moitié de l'artiste que je suis aujourd'hui. J'ai tellement appris en écoutant ses chansons, tu n'as pas idée ! La structure d'une chanson, le phrasé, et ce qu'ils appellent maintenant "swagga", il l'avait déjà, cette énergie. Une autre raison de citer Ini Kamoze en premier, est qu'il était là avant Buju Banton. Et je respecte l'Histoire : je sais que Ini Kamoze a dû influencer Buju Banton.
Au moment des célébrations pour l'indépendance en Jamaïque, tu as eu un discours éloquent sur la véritable indépendance d'un pays… Je dois être clair : je suis heureux que la Jamaïque soit la Jamaïque, et qu'on se soit techniquement émancipé des pouvoirs coloniaux. Je ne voulais pas être celui qui gâche la fête, j'ai simplement dit que c'était le bon moment pour regarder en nous-mêmes, et réaliser que nous devons être plus indépendants encore, et pas seulement dire : "Nous sommes indépendants". Selon moi, nous sommes en train de redevenir aussi dépendants que sous le gouvernement colonial britannique. Quand un pays ne peut pas produire sa propre nourriture, il ne peut pas être indépendant… On dit : "de la nourriture, des vêtements et un toit". Pour moi, la nourriture est de loin le plus important des trois. Nous devons produire et consommer des produits jamaïcains.
Le jour où nous exporterons plus que nous importerons, alors je dirais que l'on progresse vers une indépendance. Au bout du compte, tu dois être capable de te nourrir. En Jamaïque, tout est importé de l'étranger, c'est pour cela que j'ai abordé ce sujet. Je souhaite simplement que les gens pensent à cela. Je ne dis pas "J'ai raison et vous avez tort", je veux provoquer des discussions, des réflexions. J'ai toujours voulu faire ça.
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