INTERVIEW : RAGING FYAH

Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : Sébastien Jobart & DR
le lundi 23 juillet 2012 - 10 839 vues
Raging Fyah est une promesse, celle d'un retour à un reggae musical, écrit composé et joué collectivement. Raging Fyah, c'est la formation emblématique de cette nouvelle génération qui grandit en Jamaïque.
D'abord constitué autour de trois membres, Raging Fyah accompagne les artistes sur scène ou en studio. Rapidement, le groupe trouve son équilibre et intègre les membres qui le composent aujourd'hui : Delroy "Pele" Hamilton (basse), Demar Gayle (claviers), Anthony Watson (batterie), Courtland "Guizmo" White (guitare), Mahlon Moving (ingénieur), Kumar Bent (chant).
Bien décidés à provoquer l'avenir, les membres de Raging Fyah s'impliquent dans tous les secteurs. Le groupe est à la tête de son propre label, Raging Fyah Productions, ce qui leur a permis de produire intégralement leur premier album, l'époustouflant "Judgement Day", sorti en août 2011. Le groupe a aussi sorti sa première série, le H20 riddim, une de leur composition popularisée par le Black Woman de Richie Spice, et sur lequel on retrouve désormais Perfect, Lutan Fyah, Alaine… Enfin, ils organisent leurs propres concerts, les soirées Wickie Wackie à Bull Bay.
Nous publions notre interview réalisée en Jamaïque il y a plusieurs semaines, alors que la formation se dévoile actuellement sur scène au public européen.
Reggaefrance / Quand est né Raging Fyah ? / Pele : Le groupe a été formé en 2006 par Demar Gayle (claviers), Anthony Watson (batteur) et moi-même (bassiste, ndr). Nous étions élèves au Edna Manley College, et nous étions amis auparavant. En formation trio, nous avons accompagné beaucoup d'artistes différents, dancehall ou roots, en studio ou sur scène. Mais avec les années, il y a eu une période de transition, car nous avions une ambition en tant que groupe. Courtland White (guitariste, ndr) nous a rejoint, puis Mahlon Moving (ingé son), et enfin Kumar Bent (chant).
Vous êtes diplômés du Edna Manley College qui compte de grands professeurs : Ibo Cooper (Third World), Derrick Stewart (batteur de studio), Michael Fletcher (bassiste de Shaggy)... En quoi vous ont-ils influencé dans votre musique ? Kumar : Ils représentent l'Histoire, et tout ce dont nous avons besoin, en tant que jeunes. Quand tout le monde est en tournée, il doit y avoir quelqu'un pour enseigner aux jeunes les ficelles du métier. La musique est une chose, mais nous devons aussi apprendre le marketing, et les manières de rendre cette activité profitable pour nous. Nous leur devons beaucoup. Ils se sont sacrifiés pour nous.
Qui considérez-vous comme vos influences ? Anthony : Les expériences de la vie, les icônes qui nous ont précédés et nous ont inspirés... Nous trouvons aussi l'inspiration auprès du Très-Haut, auprès de nos familles et de nos amis.
 Nous avons produit tout l’album nous-mêmes. Nous y tenions, car nous voulions montrer toutes les facettes de Raging Fyah 
Que brûle ce Raging Fyah ? Kumar : Ce feu est un feu spiritual. Tout le monde connait la différence entre le Bien et le Mal, tu le sens au plus profond de toi. Cette énergie dirige tout le monde, elle dit à chacun d'entre nous ce que nous ne devons pas faire. C'est l'énergie One Love. C'est ainsi que tu peux cohabiter, coexister avec les autres personnes, sans avoir de pensées négatives, you know what I mean ?. Raging Fyah (feu ardent en français, ndlr) brûle tout ce qui est mauvais. Nous essayons aussi de diffuser une vibration positive, joyeuse, d'amour et d'harmonie. C'est notre état d'esprit, un équilibre entre les deux.
L'album ''Judgement Day'' est sorti en août 2011. Vous l'avez produit vous-mêmes ? Pele : Yeah man. Nous avons produit tout l'album nous-mêmes, en tant que Raging Fyah. Des auteurs nous ont aidés pour les paroles. Nous écrivons la majorité des paroles collectivement, mais nous avons été aidés par Kevlar Williams et Conroy Willis... Mais nous avons tout produit nous-mêmes. Nous y tenions, car nous voulions montrer toutes les facettes de Raging Fyah. L'album ''Judgment Day'' est une pure réflexion de ce qu'est Raging Fyah. En onze morceaux, il couvre tous les aspects de la musique, du roots roots rockers reggae à des titres plus uptempo, comme Karma ou Running Away. Il aborde des thèmes d'auto-élévation et incite à rester fidèle à soi-même. Yeah man, Judgement Day.
Parmi ces onze titres, Music isn't biased est une pièce maitresse. Le titre du morceau parle de lui-même... Demar : Exactement. Il y a beaucoup de musiciens dans l'industrie, et tu ne peux pas être partial. Au bout du compte, si tu l'es, ça te reviendra un jour, et ça te hantera !
Mahlon : Ils essaient de garder ce genre de musique en sourdine. Ils disent que c'est dépassé, que ce n'est pas la musique d'aujourd'hui. Nous avons conscience que nous n'avons pas tout le soutien des radios.
Les radios et medias jamaïcains ne vous sont d'aucune aide ? Demar : La musique qui est essentiellement jouée sur les ondes est le dancehall. C'est ce qui est chaud (ironique). Ils écoutent le beat, et son tempo. C'est ce qui les intéresse. Donc pour nous, c'est un combat difficile...
Mahlon : Parce que tout le monde veut entendre du crossover, tout le monde rêve d'être l'artiste mainstream et avoir ses chansons classés dans les charts du Billboard... C'est pourquoi personne ne joue du reggae comme il devrait être joué. Ils veulent tous le fusionner avec d'autres choses, pour créer quelque chose de neuf. Nous aussi créons quelque chose de nouveau, mais ça reste du reggae. Ce qui a été, est. You know ?.
Pele : Pour être honnête, même les gens qui écoutent ce qui passe en radio n'en sont pas forcément fans. C'est simplement ce qui leur est proposé en ce moment. Si toutes les stations diffusaient du roots, tu découvrirais que c'est ça qu'ils veulent entendre ! Mais ils n'en ont pas la chance... Les médias doivent s'ouvrir.
C'est une honte que la Jamaïque ait oublié le reggae... Anthony : Tu te rends compte ?
Vous sentez-vous proche des autres groupes jamaïcains de votre génération, comme Dubtonic Kru ? Demar : Nous sommes tous différents. Chacun est unique. Le message que nous apportons est différent de celui de C-Sharp, de Dubtonic Kru ou de Rootz Underground. En même temps, ces messages se rejoignent, car ils sont transmis par le reggae. Mais tout est dans la façon de le dire, et dans le choix des mots. Nous voulons atteindre directement et instantanément ceux qui écoutent notre musique. Nous ne voulons pas attendre dix ans, car c'est un message très sérieux. Il doit être écouté attentivement, mondialement, car il est positif.
L'album a été enregistré à Tuff Gong, Bobby Digital, Grafton Studio... Comme dans le passé... Mahlon : Nous avons choisi les studios qui proposent le meilleur son. Nous avons un son très distinct, très spécifique. Nous choisissons donc les studios où nous pouvons obtenir ce son.
Anthony : Le son, c'est ce qui importe.
'Judgement Day'' est sorti en aout 2011. Sur quoi travaillez-vous ? Pele : Nous faisons de la musique, continuellement. Maintenant que nous avons fait ''Judgement Day'', nous sommes de retour en studio pour faire des enregistrements. Nous travaillons actuellement avec une grande légende, Bob Andy. Il est l'un des meilleurs paroliers de Jamaïque. Nous travaillons ensemble, et bientôt le public pourra entendre de la bonne musique. Et Raging Fyah enregistre des nouveaux morceaux, également.
Avec Bob Andy, vous travaillez sur un album ? Pele : Nous enregistrons juste de la musique.
Demar : Nous enregistrons des chansons, jusqu'à ce que le moment soit le bon.
Pele : C'est une belle aventure.
Mahlon : Et nous avons un riddim, le H20 riddim, avec Lutan Fyah, Perfect, Alaine ... C'est le riddim que Richie Spice a utilisé pour Black Woman. Notre morceau World Crisis, sur l'album, est également sur ce riddim.
Vous voulez donc toucher à tout ? Anthony : Disons que nous voulons être impliqués dans la création de ce que le groupe produit. Donc il nous faut nous impliquer. Mais nous avons besoin de gens pour nous entourer, nous aider à ouvrir les portes.
Pele : Au fond, nous sommes actuellement en train de poser les fondations. Nous avons notre maison de production, et il y a tellement de jeunes artistes avec qui nous aimerions travailler, et les aider à sortir leur musique. Nous essayons d'ouvrir des portes. Nous sommes également des promoteurs puisque depuis 2010, nous organisons un concert live tous les mois, Wickie Wackie, à Bull Bay. Nous touchons à tout, pour un meilleur futur. Avec ces concerts, nous donnons de l'exposition à de jeunes talents, et nous pouvons nous établir de manière plus confortable.
Dubtonic Kru procède de la même manière, et tient les Plug & Play. C'est la seule façon d'obtenir de l'audience ? Kumar : Créer un événement te permet de faire venir les gens et de multiplier tes fans. Tu créés un noyau dur de fans, et tu peux inviter d'autres groupes qui viennent avec leurs fans également. C'est une manière de partager nos fans ! C'est une vibration positive, de voir tout le monde ensemble sous la bannière du One Love. C'est une belle aventure, mais ce n'est pas facile. Tu dois être déterminé. Tu dois te former, apprendre la technique du son, comment donner une bonne performance... Tu apprends donc beaucoup de choses en faisant cela, et ça te prépare pour l'avenir.
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