INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le mercredi 18 avril 2012 - 11 058 vues
Cette fois, il n'aura pas fallu attendre dix ans pour entendre le nouvel album de Brahim. Trois ans après "Toujours sur la route", Brahim est de retour avec "Sans Haine". Son troisième opus sort sur le label créé par Danakil, Baco Records (lire notre Focus).
Un album en forme de synthèse de l'univers musical de Brahim, entre reggae, soul et chanson française. "J'ai toujours voulu faire ce genre de disque", nous annonce d'emblée Brahim, attablé à une terrasse parisienne.
Reggaefrance / Trois ans après ''Toujours sur la route'', comment est né ''Sans Haine'' ? / Franchement, après le deuxième album, je n'étais pas très bien. On a rencontré pleins de difficultés, et à un moment c'est mon instinct de survie qui a pris le relai (rires). Avec Kubix, on avait déjà fait des dates ensemble. On s'est parlé, et on est parti sur ce projet, tranquillement. Je voulais repartir avec une autre équipe, un nouveau projet. Je pense qu'il faut partir d'une bonne énergie entre les gens.
Tu as rejoint Baco Records, le jeune label de Danakil, comment ça s'est fait ? On se connaît depuis longtemps, et je savais que les Danakil aimaient ma musique et que mon premier album avait, entre autres, inspiré Balik… Ça s'est fait naturellement. Avec Mathieu, on s'entend super bien. Il y a de la bonne énergie parce que ça part de quelque chose de naturel. C'est très important... Au moment de monter leur structure, nous on était en train de travailler sur le nouvel album, ça tombait super bien.
'Sans haine'' est un album en forme de concentré de ton univers : on retrouve du reggae, de la soul, de la chanson française… Il y a même un morceau un peu rock, Clone. Pour coller au thème de ce morceau, qui dit ''Je suis pas un clown, je suis pas un clone'', je voulais quelque chose de pêchu, qui ne ressemble à personne d'autre en quelque sorte. C'est mon mérite à moi : quand tu écoutes mes albums, j'ai mon identité et ma personnalité. Tu m'aimes ou tu ne m'aimes pas mais c'est comme ça. C'est Kubix qui a fait la musique, j'avais l'idée de la punchline et ça tombait super bien.
 Même si c'est pour des miettes, on continue de poser des briques  L'album s'appelle ''Sans Haine''. Tu es apaisé ? (Sourire). Dans cet album, il y a mes bons côtés et les moins bons… Au début pour la pochette, je voulais faire une face ange et l'autre démon, pour exprimer la dualité. Ce n'est pas nouveau, mais on est tous fait de ça. Il y a de ça dans cet album, ce n'est pas seulement le morceau Sans haine… Si tu écoutes bien les textes, je règle quelques comptes.
Il y a aussi une reprise de Jacques Brel, Ne me quitte pas. Quand j'étais petit, dans mon quartier, certains écoutaient Jacques Brel, mais je ne m'y suis pas trop intéressé. Ce n'est que plus tard que j'ai découvert son œuvre et l'artiste que c'était. C'est un vrai soulman, il se donne à fond… J'ai toujours voulu pratiquer cela dans ma musique, c'était donc normal que je fasse cette reprise. C'est une chanson que j'ai beaucoup écoutée, une chanson de fou. J'ai connu des peines de cœur et au fond de moi, j'ai toujours voulu reprendre cette chanson. Je suis content du résultat, car elle n'était pas simple ! J'aurais pu reprendre Ces gens-là aussi…
Brique après Brique, c'est la réunion du reggae français d'il y a 15 ans. Cette chanson, c'est un peu le témoin de toutes tes années passées dans ce milieu ? C'est valable pour tous les artistes qui chantent sur le morceau… Ce n'est jamais simple. Même si c'est pour des miettes, on le fait quand même, on continue de poser des briques. L'idée du collectif est venue au dernier moment, ça s'est un peu improvisé.
On y retrouve Nuttea, Pierpoljak, Merlot (Baobab), et ton cousin Asha B qui était avec toi dans le Wadada Sound System dans les années 90. Ça nous ramène encore plus loin ! Il y a des morceaux, c'est comme des photos. Quand tu les réécoutes, tu replonges dans une époque… Ce morceau est une brique lui aussi (rires). C'est comme quand tu sens un parfum dans la rue, qui t'évoque mille choses en une fraction de seconde… Hier soir, je suis retombé sur une vidéo de Karim Kacel, le premier Arabe que j'ai entendu chanter sur les quartiers, il chantait Banlieue. A l'époque, j'étais jeune, quand je l'ai vu à la télé, ça a été comme un déclic. En le réécoutant hier, ça m'a ramené directement à cette époque…
Comment tu vois les choses évoluer depuis le temps ? Ce qui m'énerve dans la musique, c'est qu'on prend le truc, on enlève l'âme et on te met des clowns dessus. Tu vois ? Et nous, on est là et jamais on peut dire ce qu'on a à dire, réellement. C'est mon opinion. C'est comme le rock : y a plus que des bourgeois qui font du rock ? J'ai rien contre les bourgeois, mais que tout le monde ait sa place ! Comme disais l'autre, ''le rock n'a plus de couilles''. Et le reggae, bientôt, ça va être pareil. Il faut de tout, mais il ne faut pas oublier les autres, ceux qui ont des choses à dire. Mais on dirait qu'on ne veut pas les écouter…
L'album se finit avec Bon vieux temps, qui parle de ton quartier, sur une note nostalgique. Ce n'est pas un hasard... Mon quartier, ils l'ont démoli. Je suis un mec abandonné. Quand tu as grandi quelque part, tu sais où aller, tu peux retourner voir où tu as grandi. Mais moi, il n'y a plus rien. L'endroit où j'ai grandi n'existe plus. Il reste un bout du quartier, mais c'est une autre génération désormais. La page s'est tournée... Il m'a fallu longtemps pour l'accepter. C'était comme un village mon quartier, il y avait une âme. Je n'ai pas voulu assister à sa démolition. Bon vieux temps est un morceau nostalgique, mais ça me fait du bien de me rappeler.
Ça permet d'exorciser, de se libérer… C'est vrai. Quand je dis ''Sans haine'', c'est parce que je suis passé par plein de trucs. En ce moment on parle beaucoup de Jihad, mais le vrai Jihad c'est le combat contre soi-même. ''Sans Haine'' pour moi c'est ça. Quand le pire t'arrive, que fais-tu ? Tu vas rester sans haine, ou bien tu pètes les plombs ? Est-ce que tu arrives à rester lucide et intègre ? C'est malheureusement plus facile de rentrer dans la haine.
|
|