INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : Sébastien Jobart & Benoit Collin
le vendredi 30 mars 2012 - 8 514 vues
La France, c'est un peu comme une deuxième maison pour Groundation. Régulièrement programmés, les Californiens jouent à guichets complets dans les salles de l'Hexagone. A l'heure de la sortie de leur nouvel album, "Building An Ark", évidemment suivi d'une tournée (news du 06/01/2012
) Marcus Urani (claviers) et Harrison Stafford (chant) nous en livrent les clefs.
Reggaefrance / Chaque album a son histoire, et plus encore chez Groundation. Quelle est celle de "Building An Ark" ? / Harrison Stafford : C'est dit dès le début de l'album : "Tu sais ce qui est bon, tu le sais depuis longtemps…" Nous sommes ici en ce moment, nous apprenons chacun les uns des autres, partageons des cultures... Nous sommes prêt à avancer, et sur un chemin positif. Nous croyons que cette énergie positive viendra des gens, et nous avons besoin d'un endroit où conserver cette énergie à l'abri. C'est pourquoi nous construisons une arche (Building an Ark, ndlr). Avec la musique de Groundation, nous essayons de créer cet environnement de prospérité pour le futur, et d'espoir pour les gens biens.
Cela part d'un point de vue finalement assez sombre. Marcus Urani : Ce n'est pas pessimiste, mais réaliste. Nous sommes en 2012, il se passe des choses, et le monde change. Cela fait un moment que ça dure : rien de neuf sous le soleil, comme on dit. Des choses se passent depuis des milliers d'années. Mais je pense que tout ça se combine, et nous avons évolué ainsi jusqu'à ce jour. Des décisions prises par les humains ces 200 dernières années affectent le futur des générations. Nous ressentons cela. Nous voyageons beaucoup dans le monde entier, rencontrons beaucoup de gens, et c'est dans l'esprit des gens, c'est très sérieux. Le mieux que l'on puisse faire est représenter cela avec notre musique.
Harrison Stafford : Ce changement pourrait être très difficile, t'enlever ton énergie et ta force… Les challenges sont devant nous, c'est certain. Ce n'est pas pessimiste mais nous devons nous concentrer car ce sera difficile.
Comment "Building an Ark" se positionne dans la narration de votre discographie ? Harrison Stafford : C'est une toute autre chose désormais. C'est évidement lié aux précédents albums. "Upon the bridge" est la fin de quelque chose, et "Here I Am" est le commencement d'autre chose. Ces individus, qui grandissent, apprennent le bien du mal, les dragon wars, ces combats qui ont lieu, prennent une décision et vont vers un nouveau schéma de pensée. C'est ce que raconte "Here I Am", qui commence avec ce que l'on voit autour de nous à l'heure actuelle. "Building An Ark", c'est 2012. L'histoire progresse, mais elle n'est plus une narration à propos d'un individu. C'est à propos de ce qui se passe maintenant, à propos de "nous". Des gens nous ont rejoints dans notre voyage. Désormais, nous sommes témoins de ce qu'il se passe.
 A chaque album, nous essayons de nouvelles choses, nous prenons des risques  Comment se remet-on en piste pour un septième album ? Harrison Stafford : Nous évoluons, et progressons… A chaque album, nous essayons de nouvelles choses, nous prenons des risques. On en tire des leçons, que nous appliquons sur l'album suivant. Nous sommes alors deux ans plus âgés, nous avons vécu de nouvelles rencontres, fait de nouveaux voyages… Nous jouons, improvisons, écrivons, et essayons d'avancer. Nous prenons des risques, comme nous l'avons toujours fait. "Hebron Gate", par exemple, a ouvert un nouveau monde de polyrythmie. C'était un pas en avant, et les gens ont aimé. Nous avons pris beaucoup de risques avec "We Free Again" : Cultural Wars, Fourth Dimension… Des choses qu'on n'entendra pas sur un autre album de reggae. Pareil pour "Upon the bridge" et "Here I Am".
Marcus Urani : C'est la beauté de la musique, cela ne reste jamais pareil. On a la chance d'être capables d'explorer, et notre public sait que nous n'allons pas nous contenter de refaire ce que nous avons déjà fait par le passé. Nous explorons des choses, c'est une évolution.
Harrison, en nous présentant l'album l'année dernière, tu nous parlais d'invités qui n'apparaissent finalement pas… Harrison Stafford : C'est vrai, où sont passés ces invités ? (rires) Malheureusement, ce n'était pas possible. Avec notre planning, nos tournées, leurs tournées…
Marcus Urani : On a vraiment essayé, crois-le ou non.
Vous gardez l'idée pour le prochain album ? Harrison Stafford : On veut le faire. Inviter des artistes qu'on n'attendrait pas sur notre musique, et aussi des gens qui nous ont beaucoup inspirés. On regarde toujours vers la "vieille génération"… Attendez-vous à quelque-chose de sauvage. Toujours ! Si tu écoutes "Building An Ark", tu verras quelque chose de sauvage. Par exemple, l'intro de l'album ne ressemble à rien de Groundation, avec juste la contrebasse, le piano, la guitare…
Kerry et Kim ont pris de l'importance. Vous avez vraiment besoin d'invités ? Harrison Stafford : Elles font partie du groupe. Tout le monde est valorisé, c'est ainsi que nous sommes le plus fort. Elles ont de si belles voix !
Marcus Urani : Il n'y a pas d'invités, mais d'une certaine manière, nous nous sommes invités entre nous. Comme dit Harrison, elles ont des voix superbes, et cela fait longtemps qu'elles sont avec nous. Il était temps que nous écrivions des choses pour elles. L'idée d'inviter d'autres artistes a influencé les morceaux : il y avait des parties que nous avions imaginées pour certains, et elles nous ont amené dans d'autres directions. Même si ça n'est pas arrivé, ça a eu un impact sur la musique.
L'album s'achève sur des mots très forts : "Et si ce que l'on appelle l'Histoire n'était qu'un combat sans fin de loups et de moutons ? Et cela m'inquiète". Harrison Stafford : C'est sérieux, en effet. Je me lance un défi, et je lance un défi à toi, l'auditeur : Comment sera le futur ? Cela se vérifiera-t-il ou non ? Il est temps de décider de ces choses. Nous sommes la génération qui doit mettre ça sur le tapis. C'est une époque déterminante. Mais ce n'est pas pessimiste, en fait c'est tout le contraire. Ça peut être très positif si c'est le point de départ d'un changement.
Marcus Urani : Cela résume l'album, c'est un peu comme un épilogue. Tout l'album aborde ce sujet, et ses différentes facettes. Mais je ne crois pas non plus que ce soit pessimiste.
Harrison Stafford : Ce sont des mots puissants et émotionnels, j'en ai conscience. J'aime l'intro et la fin de l'album, qui se répondent.
Marcus Urani : Si tu ne penses pas à tout cela, si tu veux juste gagner de l'argent, et passer du bon temps, ces concepts sont un peu durs à encaisser et peuvent paraitre pessimistes. Mais tout cela se passe sous nos yeux, c'est déjà là, tu ne peux l'ignorer. L'une des missions de la musique est d'apporter cette conscience.
Quel est le symbole du coquillage sur la pochette ? Harrison Stafford : Cela symbolise beaucoup de choses : la marche du temps, le temps qu'il faut à un coquillage pour prendre cette forme, c’est-à-dire des millions d'années. C'est très ancien !
Je voulais symboliser cet esprit de réunion des gens, car dans les îles, les coquillages servaient aussi de cornes pour prévenir et rassembler la population : que ce soit pour une guerre, une tempête, une fête, une célébration… Egalement, une arche est un endroit où l'on se protège. Et la première chose dont un animal se soit servi comme d'un abri, c'est le coquillage. C'est notre première maison, notre premier endroit protégé. Et en arrière-plan, il y a ce panorama stellaire, pour souligner que bien que ce soit petit, c'est infini…
Vous êtes continuellement sur la route, vous ne vous sentez pas comme des étrangers dans votre propre pays quand vous revenez aux USA ? Marcus Urani : Oui, en quelque sorte. Il y a un choc culturel quand on rentre chez nous… C'est la face étrange de cette vie que nous menons, et dont personne ne parle vraiment… J'essaie d'expliquer ça aux gens, mais ils ne voient que le planning des villes où nous nous rendons, et nous envient. Mais nous passons notre temps dans un bus ou un avion, à voyager tous les jours ! C'est dur et très fatigant. Quand tu rentres chez toi, c'est différent, les choses ont changé : les gens ont vieilli, ont subi des épreuves, comme avec la crise des subprimes où beaucoup de gens ont perdu leur maison, ne peuvent trouver du travail… Tu te rends compte que tes amis ont des ennuis d'argent… C'est très spécial. Et tu n'es là que pour constater tout ça, les choses ont changé pendant ton absence.
Harrison Stafford : Les gens se sont séparés, ont divorcé… Comme nous sommes allés dans tous ces endroits, notre perspective est différente : nous sommes conscients de ce qu'il se passe au Moyen-Orient, Afrique du Nord, Grèce, Amérique du Sud… Tous ces endroits où nous avons des amis et gens que nous aimons… Ça nous concerne et nous sommes très au fait de ce qu'il se passe. A l'inverse, nos amis et nos familles savent ce qu'il se passe en Californie, mais pas nous.
A quand le premier DVD live de Groundation ? Marcus Urani : Il est sorti l'année dernière, tu ne l'as pas eu ? (rires) En fait, on travaille dessus.
Harrison Stafford : Il faut choisir le bon endroit, le bon moment… On pourrait l'enregistrer en Amérique du Sud, qui sait ?
Marcus Urani : En fait, on ne sait pas vraiment où l'on jouera le mois prochain… Ca explique en partie que l'on ne l'ait toujours pas fait. Le groupe a un peu changé, on voulait attendre que ça se stabilise. Maintenant, il est temps qu'on le fasse.
Harrison Stafford : C'est un vrai projet : après l'enregistrement, il faut le produire, le mixer… Et nous n'avons que quelques semaines entre chaque tournée… Nous manquons de temps, mais nous le ferons, ne vous en faites pas ! La prochaine fois qu'on se verra, nous l'aurons enregistré.
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