INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : DR
le mercredi 19 octobre 2011 - 9 413 vues
C'est l'une des plus belles surprises de l'année venue du reggae français. Fundé, avec leur second album "Hymne à la vie", fait montre d'une belle singularité. Après "Présence" en 2006 (et un album live en 2008) ce deuxième album peut s'enorgueillir d'une vraie finesse d'écriture et de composition : on aura rarement entendu des textes aussi profonds et justes. Un chef d'œuvre d'arrangements qui se greffent sur les compositions reggae, à l'image du splendide morceau La peur du lendemain enregistré avec un orchestre philarmonique. Entretien avec Yoann, chanteur principal et parolier du groupe.
Reggaefrance / Ce qui frappe en écoutant "Hymne à la vie", c'est que vous avez une certaine idée de la musique… / C'est le reflet de qui nous sommes en tant que musiciens. Fundé est composé de musiciens qui ont eu beaucoup d'influences avant de connaître le reggae : le funk, le métal, jazz, formation classique pour certains… On est tous tombés assez tardivement amoureux du reggae, vers 20 ans, mais on y a plongé. L'amour du groove reggae, mais on a toujours une recherche d'identité. On n'a pas voulu faire du copier/coller. Il y a des partis pris sur les arrangements, où tu vas peut-être trouver une guitare saturée, ou flamenco, une partition jazz au piano… C'est nos influences qui s'expriment pour diversifier un peu le son.
On n'aime pas entendre quelque chose qui a déjà été fait. Dans le reggae jamaïcain, il y a une culture du chanteur : tu as des musiciens qui jouent un riddim, et ensuite une dizaine de chanteurs vient se poser dessus. Mais nous n'avons pas vraiment cette culture. La musique est aussi importante que le texte ou le chanteur, les musiciens ont chacun leur place dans le groupe. Ensemble, on essaie de faire en sorte que la musique exprime le sentiment qu'on veut faire passer dans le texte : la colère, la frustration, la joie, le pardon, l'écoute… On essaie de refléter tout ça dans nos différentes influences.
Comment s'est fait le passage au reggae pour les musiciens de Fundé ? Fundé est créé en 2000. Au départ, on avait monté I&I en 1998, on était une quinzaine, c'était un gros bordel et ça a duré deux ans. Les cinq musiciens de Fundé viennent de là, plus les deux cuivres qui nous ont rejoints sur le premier album Présence, et qui ne nous ont plus quittés. On avait une bonne étoile qui avait joué avec les anciens, les Wailers. Il était pour moi le meilleur batteur de reggae en France et qui nous a pris sous son aile dès le début. A cette époque, j'étais un technicien de la basse, plutôt funk, mais il nous a expliqué les ficelles du groove reggae. Ça a été un renouvellement en tant qu'artiste, cette découverte du reggae, de la complexité dans la simplicité apparente du reggae.
L'album s'appelle "Hymne à la vie", tout un programme… C'est un sentiment. Fundé a connu de très bonnes périodes et d'autres plus difficiles. Après quelques années et des chamboulements dans le groupe, tout s'est mis en place. Hymne à la vie, ça n'a rien de prétentieux, c'est juste le besoin de dire que la vie reste belle, ce sentiment de se sentir à sa place, après des moments très difficiles. C'est comme l'idée du Yin et du Yang, illustré sur la pochette. C'est l'envie de positiver, de dire à la vie, après s'être demandé où elle nous mène comme ça peut nous arriver à tous, qu'elle reste belle malgré tout. C'était aussi pour jouer sur le contraste avec La peur du lendemain. C'est un morceau contrasté, à la fois sombre et plein d'espoir, avec la voix de tête qui place le fait que la confiance vient quand on a confiance en soi, et que la peur du lendemain s'évanouit.
 Etre positif, ce n'est pas être naïf.  D'ailleurs, les deux morceaux Hymne à la vie et La peur du lendemain s'enchaînent sur l'album, ce n'est pas anodin. L'un répond à l'autre. On exprime la peur du lendemain, puisqu'on la vit, on se demande de quoi sera fait demain, tout en gardant cette espérance. Et puis, en contraste de ce morceau, répondre que cette vie est magnifique. C'est ce cercle entier de noir et de blanc qui est beau, pas seulement la partie blanche. On m'a renvoyé le fait que c'était naïf. J'ai du mal à accepter cela, d'autant que le texte le dit : "Ce n'est pas naïveté si je vois la vie comme une chance". Etre positif, ce n'est pas être naïf. Malheureusement, j'ai l'impression que beaucoup de gens, dans cette période sombre, pensent que rester positif, c'est être naïf et con, et qu'être blasé c'est voir la réalité telle qu'elle est. Reconnaître que la partie noire de ce cercle, aussi bien au niveau social qu'individuel, est nécessaire au cercle et fait partie de sa beauté, est pour moi loin de relever de la naïveté. C'est justement aller au-delà de la souffrance. Marley est positif dans ses chansons, mais pas naïf pour autant.
Les textes sont plus dans l'abstraction, dans l'image, en un mot dans la poésie. On a eu la chance de faire des formations avec des gens qui nous ont appris qu'un beau texte avait une sonorité et du sens. Par exemple, il y a quelque chose que je n'emploie jamais mais qui est très courant dans le reggae c'est le pronom personnel "ils". Mais de qui parle-t-on ? "Ils", c'est tout et rien en même temps. Utiliser des images prend plus de sens que de dénoncer directement ce "ils".
L'album s'ouvre sur Accepter, qui justement détonne un peu dans l'album. C'est un petit extra-terrestre dans les compositions de Fundé jusqu'à maintenant. Enfin, un extra-terrestre... C'est une histoire d'évolution. Celui qui fait du revendicatif sera peut-être amené dans sa progression d'artiste à se tourner vers l'image. Moi c'est un peu l'inverse, je suis tout le temps dans l'image, et j'ai eu ce besoin de faire quelque chose d'engagé, de plus direct. Ça fait partie des progressions. Je parle de la "putain de fierté de la nation", du "Roi Soleil en cravate", on revient comme d'autres sur les paroles de la Marseillaise dont le "sang impur" de nos ennemis est une notion nazie, à l'inverse des Droits de l'Homme. Le morceau voulait appuyer sur le contraste, la contradiction entre l'image de la France et ce qu'elle est aujourd'hui. Mais j'ai évité de mettre des "ils" (rires).
Le poids des mots est un texte superbe, qui aborde autant l'importance des mots, que celle de leur absence... Plus le non-dit est important, plus le poids des mots à sortir pèse sur la bouche. C'est le genre de morceau qui se construit sur le temps, au gré de mes propres introspections et rencontres. C'est parti d'une rencontre avec une personne qui vit ce poids des mots à l'extrême. Le contraste du poids du silence et du passé m'a frappé. Elle était dans une situation où au sein de sa famille, tout le monde savait quelque chose d'inavouable, en faisant comme si de rien n'était. La souffrance dont elle m'a fait part m'a renvoyé à ma propre souffrance des non-dits, ce qui me permet de mieux interpréter la signification du morceau. Nos morceaux sont le reflet de ce qu'on est. En tant qu'auteur, j'ai un regard introspectif sur la souffrance. Voir son histoire sans se juger, essayer de se comprendre, permet de comprendre l'autre. C'est la chance qu'on a en tant qu'artiste, de pouvoir se projeter dans l'autre, comme un acteur qui s'approprie un personnage avec son propre vécu. La fin du morceau exprime la frustration de cette personne à ne pouvoir dire les choses. La guitare saturée, le chant qui part dans les cris, est la représentation auditive de cette frustration.
Comment en studio, se passent les compositions ? Est-ce un processus organique, ou au contraire tout est écrit ? Ca relève des deux méthodes. Il y a une bonne part de réalisation de la part de notre ancien batteur, Clément Léotard. La peur du lendemain en est un bon exemple. On a eu trois jours de création, partis de rien. Le rythme s'installe, la mélodie vient, les paroles s'écrivent, et au bout de ces trois jours, on avait la construction du morceau tel qu'il est sur l'album, avec cette montée, mais sans l'orchestre. Après ce processus organique, comme tu dis, est venu le travail des arrangements, où on a eu l'idée de travailler avec un orchestre. On a pu le faire au gré de coïncidences, on a rencontré les bonnes personnes qui ont rendu ce projet réalisable.
Justement, comment on travaille avec 54 musiciens en studio ? C'était magique. Il y a eu un an d'écriture pour tous les pupitres, c'est notre trompettiste Xav' qui s'en est occupé. Donc pendant un moment on n'a pas vu le résultat. On avait travaillé avec un logiciel, et puis avec l'aide du chef d'orchestre Jean-Michel Despin, on a présenté le résultat à Bruno Dottin, spécialiste des arrangements d'orchestre, qui a adhéré au projet. C'est lui qui a aidé Xav' à réarranger ce qu'il avait écrit pendant un an. A partir de ce qu'on avait composé sur ordinateur, il nous a confrontés à la réalité. Par exemple, les cors ne peuvent aller très vite en raison de la résonance des notes. Et puis il a fallu réécrire, réadapter la composition par rapport à l'orchestre et aux instruments à disposition. Après plus d'un an écriture, on s'est retrouvés dans cet amphithéâtre, et quand les premières notes s'élèvent... Après tous les efforts consentis, c'était vraiment magique. Ils ont enregistré au clic et au casque (!) avec le chef d'orchestre et puis on a assemblé les deux parties en studio.
Les thèmes sont universels, mais la musique de Fundé est intimiste, elle parle quand même au creux de l'oreille. Intimiste car je ressors des émotions, des souffrances, des réflexions personnelles, mais que je rends "disponibles" aux autres. Sur le premier album, il y a un morceau intéressant de ce point de vue-là, c'est Absence. J'y parle de mon propre deuil face à ma mère. Si je reste trop intimiste, l'autre ne peut rien retenir de ça. Par contre si je dis "J'ai tant prié pour ta présence, mais j'ai tant appris de ton absence", ces mots peuvent avoir une résonnance chez l'autre. Si l'écoute de "L'Hymne à la vie" permet à quelqu'un de se sentir mieux, d'être soulagé, apaisé, alors je peux mourir demain. Le sens de ma vie est là, et le sens de Fundé aussi.
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