INTERVIEW :
Propos recueillis par : Benoit Georges
Photos : DR
le lundi 05 septembre 2011 - 7 885 vues
Rencontré lors de son premier passage en France, Romain Virgo, la jeune sensation issue de la Nouvelle Star jamaïcaine 2007, a déjà tout d’un pro : en moins de trois ans, il a réussi à démontrer qu’il était bien plus qu’une étoile filante. Sa maturité artistique étonne chez un jeune de 20 ans. Singles à succès, premier album chez VP et premières tournées, cet amateur de musique à l’ancienne a bâti sa carrière sur de solides fondations… tout en continuant ses études.
Reggaefrance / Bienvenue en France, puisque c’est la première fois que tu nous rends visite. / Effectivement, je suis déjà venu en Europe l’an passé pour le festival Rototom en Espagne, mais c’est ma première venue en France. C’est aussi ma première tournée tout seul en Europe et ça se passe très bien pour l’instant. Je suis surpris car dans tous les endroits où je me produis, je reçois un très bon accueil du public.
Parlons un peu de tes origines… Tu as grandi à la campagne, dans la paroisse de St-Ann. Oui, j’ai grandi à Stepney, une petite communauté située à un mile de Nine Miles, où Bob Marley est né. J’ai grandi dans une « struggling family », une famille qui bataillait. C’est comme un ghetto de la ville, sauf que les gens ne se font pas la guerre, au sens propre, les armes… Rien de tout ça là-bas. Pourtant, il y avait aussi des batailles, car je viens d’une famille très pauvre. J’ai surtout grandi avec ma mère qui nous assumait seule, celle avec qui j’ai passé 90 % de ma vie, celle qui est toujours dans les parages et qui essaye de faire sourire tout le monde dans la famille. Parfois, je me demande comment elle fait, car elle n’a jamais eu de boulot régulier, elle se débrouille en tenant une petite échoppe. C’était une enfance à la dure. Je me rappelle encore quand je n’avais qu’une paire de chaussure que je portais à l’école, à l’église, toujours et partout. C’était dur, mais Jah était là et il est toujours là.
Who feels it knows it, qui est pour moi l’une de tes plus belles réussites, est un « sufferer tune » assez classique, te considères-tu comme un « sufferer » ? Oui, évidemment, on est passé par là. Maintenant que je suis devenu artiste professionnel et que je peux gagner ma vie grâce aux concerts, pas mal de choses ont été facilitées pour ma famille. Mais je suis passé par là, avec ma famille : je sais ce que c’est de ne pas savoir quand sera le prochain repas, je sais ce que c’est quand le dimanche, tu te contentes d’un petit repas qui n’est pas aussi nourrissant que celui de la plupart des gens en Jamaïque. Mais jamais on ne s’est apitoyé sur notre sort : on a toujours cru que le meilleur était à venir, qu’il nous fallait juste travailler dur et croire que ce meilleur adviendrait quoiqu’il arrive. C’est un peu l’esprit de cette famille. Ma mère m’a toujours encouragé à travailler dur. Quand j’ai écris Who feels it knows it, je n’ai pas eu à réfléchir tant que ça : quand tu connais cette situation, tu poses le stylo sur la feuille et tu écris sans y penser.
 Quand on parle de Kingston, on te raconte tellement d’histoires, c’est vraiment flippant.  Tu dors bien à Stepney, mieux qu’à Kingston ? Tu t’en plains dans le titre Can’t sleep. (rires) Oui, beaucoup mieux ! J’habite maintenant à Kingston, mais c’est toujours un plaisir de retourner dans ma petite communauté. Car c’est là que tu partages les meilleures vibrations, le plus d’amour. Ma famille et tout le monde autour sont tout excités quand je reviens. C’est une communauté très paisible, les gens sont polis, ils s’arrêtent tous les matins devant chez toi pour dire bonjour, ils sont pleins d’amour.
Tu parles souvent des coups de feu dans tes chansons, ça te faisait peur quand tu es arrivé à Kingston ? Oui, bien sûr. Tu viens de la campagne, et tu peux entendre dire une ou deux fois par an que quelqu’un s’est fait tuer, mais quand on parle de Kingston, on te raconte tellement d’histoires, c’est vraiment flippant. Mais c’est la vie, et tu dois rester prudent. Je pense que ça faisait partie de mon devoir, en tant qu’artiste, d’en parler et de condamner cette violence : un flingue, ce n’est pas la solution, il y a d’autres voies dans la vie. Et en même temps, je voulais dire aux gens d’être prudent, de surveiller leurs arrières.
Tu as commencé à chanter dans les chœurs… Même avant l’église, on avait une maison avec une seule pièce pour cinq et une table. Et tous les soirs, mon frère tapait le rythme sur le table – c’était son truc – et avec ma mère, on chantait et on enregistrait ça sur cassette. On passait ensuite la cassette tous les dimanches matin avant d’aller à l’église. C’était mon premier studio, en quelque sorte. Mais c’est vraiment ainsi que ça a commencé. C’est un voisin qu’on connaissait qui m’a dit en premier que je pourrais chanter en dehors de ma famille. Il passait devant chez nous, m’a entendu chanter et l’a dit à ma mère. J’étais plutôt timide et à l’église, je ne voulais pas qu’on m’entende chanter et j’attendais la fin des dévotions que tout le monde soit parti pour me mettre derrière le micro. J’aimais cet écho dans l’église. Un matin, j’ai fait ça et les gens se sont aperçus que je pouvais chanter. Ils m’ont donc mis dans le chœur des jeunes et je chantais tous les dimanches. Je devais avoir 10 ou 11 ans. J’ai continué à chanter avec l’église, partout, dans et à l’extérieur de la communauté, jusqu’à mon entrée au lycée où je suis devenu le soliste du chœur de l’école. En 2006, nous nous sommes présentés à une compétition de chœur qui s’appelle « All together sing », une compétition télévisée à l’échelle de toute l’île. Nous sommes arrivés deuxième, et j’étais le chanteur solo. A partir de là, tout le monde m’a dit que je devais tenter la compétition « Digicel Rising Stars », le show télé qui existe dans presque tous les pays. C’est ce que j’ai fait et je suis devenu en 2007 le plus jeune gagnant de cette émission.
Tu as touché un million de dollars jamaïcains en récompense et depuis, tu as sorti deux singles sur le thème de l’argent, No money et As the money done. Il n’y a déjà plus d’argent ? (rire) Je voulais déjà aller dans une école, The Edna Manley College of Visual and Performing Arts, c’est ce que je disais partout dans les interviews. Et je me suis dit que cet argent pouvait me le permettre, sachant que je n’aurais pas pu payer plus de deux, trois ans d’études dans cette école. J’en suis à la troisième année maintenant, si on compte l’année de préparation pour intégrer l’école. La plupart de cet argent est donc allé dans les études et je me dis aujourd’hui que c’était un choix très sage, car il m’a aidé à améliorer mes performances scéniques. J’étais timide et je manquais de confiance au début et je pense que les professeurs m’ont permis d’acquérir cette confiance en moi.
Ce n’est pas trop dur de cumuler ta carrière musicale et tes études ? Si, c’est difficile, je ne vais pas prétendre le contraire. Depuis le début de ce semestre, qui commençait en septembre, je suis parti en tournée aux Etats-Unis avec Capleton et je ne suis pas allé en cours pendant plus d’un mois, puis avec cette petite tournée européenne, c’est encore un mois de plus sans aller en cours. Donc sur un semestre de quatre mois, j’en ai déjà presque manqué trois. J’ai des examens programmés pour moi en janvier et février, au lieu de décembre. Je vais manquer la session de décembre et je dois donc passer un rattrapage. C’est dur et je manque de temps pour travailler des aspects qui m’intéressent. Mais les professeurs sont très compréhensifs, car la plupart ont eu l’occasion de faire carrière. Ils essayent de travailler avec moi du mieux possible et je fais de mon mieux pour réussir ce cursus. Tout le monde attend de moi que je réussisse, alors je travaille dur. Je crois vraiment qu’en travaillant dur, j’y arriverais, tout en ayant de la réussite dans la musique.
Il y a clairement un côté lover dans ton style. C’est d’ailleurs intéressant de te comparer à des artistes comme Sanchez sur les riddims Penthouse. Concernant les riddims d’abord, c’est grâce à Donovan Germain, mon premier producteur, qui mise tout sur la qualité musicale. C’est un vrai plaisir pour moi de travailler avec lui, c’est à la fois un père et un mentor. Il est toujours volontaire pour enregistrer.
Parfois, il nous donne un riddim et on sait déjà qu’il sera parfait pour une chanson d’amour : quelquefois, le riddim te parle tellement qu’il influence l’écriture de la chanson. Et puis c’est valorisant d’être sur le même riddim que des grands artistes comme Beres Hammond, Sanchez ou même Busy Signal, Etana, Queen Ifrica…
Parmi tes chansons d’amour, il y a Taking you home, avec un message progressif qui m’a fait penser à Start a new de Tarrus Riley. D’où t’es venue l’idée de parler de la violence conjugale ? C’est une des deux chansons de l’album que je n’ai pas écrite. Elle est signée Black Pearl. Je suis tombé amoureux de cette chanson dès la première écoute. Je me disais : cette chanson est tellement réaliste ! Tant de femmes ont vécu cela et il y a rarement quelqu’un qui en parle en chanson. J’ai pensé que c’était bon pour moi de sortir cette chanson et d’être le porte-parole des femmes qui ont connu cette situation ou une situation similaire. Il s’avère que c’est une belle chanson, tout le monde l’aime et c’est une de mes chansons qui passe le plus à la radio, en Jamaïque en tout cas. On a tourné une vidéo qu’on est en train de terminer pour qu’elle sorte avant la fin de l’année.
On peut aussi la rapprocher du titre Love doctor : sauver une femme, puis la réconforter en étant le « love doctor ». Oui, c’est vrai. D’ailleurs, toutes ces chansons m’ont fait penser à une histoire : par exemple, je rencontre une Dark skin girl, la pluie tombe tout d’un coup (Rain is falling), je la ramène chez moi le soir (Taking you home) et je deviens son Love doctor. C’est comme si mon catalogue de chansons d’amour formait une histoire, c’est drôle.
Ce qui est remarquable avec toi, c’est que malgré ton jeune âge, tu es vraiment bon sur le vintage, par exemple tu as ton Alton Medley, la reprise de Toots et même en dancehall, tu utilises plutôt des riddims vintage comme le Boops ou le Duck… Pourquoi ? Cela s’explique par la façon dont j’ai grandi. J’ai vécu dans un foyer où ma mère choisissait la musique, c’est elle le boss ! Elle va mettre Beres Hammond, Alton Ellis, Dennis Brown… Ce sont des artistes que j’ai écoutés en grandissant. C’est selon moi une des raisons pour lesquelles j’aime particulièrement chanter cette musique vintage. Ce feeling m’influence probablement quand j’écris mes chansons. C’est de là que vient toute la musique d’aujourd’hui et c’est particulièrement flatteur de marcher dans les pas de ces grands artistes. Mais c’est vrai que les gens sont étonnés par mon côté « old soul ».
Mais si on te le propose, tu enregistrerais des morceaux de dancehall ? Oui, pourquoi pas, j’ai l’ai déjà fait. Mais je me vois plus faire du roots et du lovers rock, essentiellement. Je ferais certainement deux, trois morceaux dancehall, mais ce n’est pas vraiment ce que je ressens au fond de mon cœur. J’aime faire différents styles de musique, du dancehall ou du rn’b, mais je le fais surtout pour montrer que j’apprécie la musique dans son ensemble ou pour pouvoir chanter pour tout le monde. Mais j’aime surtout la musique qui est en moi depuis longtemps : j’ai écouté du lovers rock, j’ai écouté du roots, c’est donc normal que cela figure parmi mes influences majeures. Ca me permet de me dépasser et j’ai envie d’en faire à plein temps.
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