INTERVIEW :
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : www.virginiareggae.com
le samedi 31 juillet 2004 - 20 904 vues
Après le show quasi strictly reggae dont Spragga Benz venait de nous gratifier au Splash, il nous était impossible de passer à côté de l’occasion de faire le point avec ce DJ prolifique, aujourd’hui à la tête du Red Square Crew. On pourrait le comparer à un Bounty Killer, en ce qu’il a révélé des talents tels qu’Assassin, Sugar Slick, Greg Hines ou encore Briggy Benz. C’est d’ailleurs en compagnie des deux derniers qu’il s’était rendu en Allemagne. Rencontre à chaud donc, juste après un concert ayant mis tout le monde d’accord…
Reggaefrance / Spragga Benz, merci d’avoir accepté de prendre un peu de temps pour parler avec nous, le concert était très bon ! Dans un premier lieu, peux-tu nous parler de tes débuts en sound system, avec La Benz ? Nous dire quelle expérience tu retiens de cette époque et qu’est-ce qui t’as décidé à devenir un DJ ? / A la base, j’étais selecta, je leur donnais un coup de main pour obtenir des dubplates en studio. Et en allant en studio pour avoir des dubplates, j’avais l’habitude de rencontrer les artistes, les ingénieurs et tout ça. Donc, un jour où j’étais en studio, Buju Banton était en train de faire un dubplate pour nous et je voulais qu’il nous fasse 4 chansons, mais il ne voulait en faire que 2 et il m’a dit que si je voulais 4 chansons, il faudrait que je fasse les 2 autres moi-même. A cette époque, je n’étais pas un DJ, mais j’ai dit : ‘‘Yo ! Il n’y a pas de problème…’‘, j’ai commencé à sortir quelques trucs de ma tête et il semblait apprécier. Il m’a donc encouragé à continuer et à écrire la chanson, ce que je fis en tant que dubplate pour La Benz, et les gens qui étaient dans le jardin l’entendirent. Quand on jouait cette chanson avec La Benz, les gens présents semblaient bien l’apprécier et ils se demandaient qui était cet artiste qu’ils n’avaient jamais entendu avant. C’est donc comme ça que ça a commencé. On a commencé à recevoir de l’argent pour faire des dubs, et on donnait ces dubs, alors que toujours personne ne savait qui les faisait. C’est monté d’un niveau et nous sommes ici aujourd’hui.
A cette époque, l’influence que Buju avait sur toi est un peu la même que l’influence que tu as eu sur Assassin par la suite… Dans un certain sens, probablement, même si c’est un peu différent. Buju me connaissait avant que je devienne DJ et je connaissais Assassin avant qu’il le devienne, Briggy et chacun d’entre eux… Mais la seule chose identique, c’est qu’un plus gros artiste, un artiste mieux reconnu, a aidé le talent émergent. Le cycle se reproduit…
Que peux-tu nous dire de ton association avec Alias Project par la suite ? Comment cela s’est-il passé ? A l’époque, après La Benz, quand j’ai commencé à faire des dubplates pour des plus gros sounds, comme Metromedia, Stone Love et tout ça, le selecta Webba m’amena un jour à Dave Kelly, à Penthouse. J’avais cette chanson qui s’appelle Jack it up, qui était en train de mash up le dancehall… Il m’amena à Dave. A cette période, il ne travaillait encore sur aucun de ses projets, il faisait juste des trucs pour Germain. Donc, on resta en contact, jusqu’à ce qu’il produise le Pepperseed riddim et qu’il me permit de poser dessus. Et depuis, la collaboration entre Alias Project et Spragga Benz continua. Dave Kelly et moi venons de la même communauté, donc on se connaissait déjà avant de faire de la musique, depuis l’école, mais la musique a rendu ça officiel en quelque sorte.
Pour ton deuxième album, tu t’es associé à une major, Capitol Records ; pourquoi les as-tu quittés ? En fait, c’est eux qui m’ont quitté, car ils ont fermé le département des musiques noires. Ils en avaient fini avec le département des musiques noires. Mais ils ne comprenaient pas grand-chose au dancehall de toute façon, parce que c’était nouveau pour eux. Ce n’était pas comme maintenant. Ils n’étaient pas préparés à ça et c’est ce qui a créé la dissolution.
Tu as aussi fait beaucoup de combinaisons avec des stars du hip-hop ; penses-tu qu’il y ait une sorte de fraternité entre le hip-hop et le dancehall ? Oui, il doit y en avoir, car les deux sont en relation et sont issus du reggae. Le dancehall est un niveau supérieur du reggae et le hip-hop est un niveau supérieur du reggae, c’est la même chose ; ils sont donc en relation, de près.
Ton dernier album, “Thug Nature”, est une autoproduction, il est produit sur le label Red Square ; peux-tu nous dire quelle est la différence entre Red Square et Benz Speculous ? Benz Speculous est mon label d’origine, depuis l’époque où j’ai signé chez Capitol. Parce que je ne voulais pas vraiment signer chez Capitol en tant qu’artiste, je voulais être en deal avec eux. C’était une sorte d’intermédiaire entre eux et moi. Et puis, nous avions déjà un crew à l’époque, avec Tomahawk, Black Pearl et Sugar Slick… Les mêmes avec qui nous continuons de travailler. Red Square est le coin dans lequel j’ai grandi et où mes amis ont grandi. C’est dans cet endroit qu’ils commencèrent à aimer la musique, au fur et à mesure que je la faisais. Nous montrions l’exemple et nous avons donc créé le Red Square Crew par la suite.
Peux-tu nous dire un mot au sujet de ton expérience dans le cinéma ? Tu as joué dans le film “Shottas” ; le referais-tu ? Oui, c’était une bonne expérience de travailler avec cette équipe, avec Kymani et tout ça ; on fumait de la weed toute la journée pendant le tournage. C’est un bon film. Malheureusement, il n’a pas été diffusé dans les grande salles pour je ne sais quelle raison. Mais la rue le connaît et la rue l’adore, c’est une sorte de culte underground. On le refera, car c’était une bonne expérience. Si on a un bon scénario, on le refera, assurément.
A présent, tu apparais plus comme un DJ rasta que comme un DJ slackness, tel que tu l’étais dans ta jeunesse ; quelle a été la révélation pour toi ? C’est juste la vie, le fait de grandir et de voir les choses qui se passent dans le monde, tout ce sur quoi on nous ment. Même la Bible, qui te dit qu’en l’an 2000, Dieu devait revenir. Tout ce gros truc autour du nouveau millénaire, tout ce que tu vois, c’est rien du tout. Personne ne peut dire quand sera la fin du monde, personne ne sait quand le monde a commencé. C’est un leurre, on ne doit pas écouter et on ne doit pas apprendre ce qu’on nous enseigne et toute cette idéologie à propos de Dieu. Certes, nous savons qu’il y a un créateur suprême, mais pas dans le sens que la Bible nous enseigne, car il y a trop de contradictions là-dedans et Dieu n’est pas contradictoire. Donc, on s’est retourné vers nos anciens, on est retourné vers nos racines noires, pas celles du préjudice, mais simplement vers les racines noires issues de Solomon et King Selassie. On progresse dans ce sens.
Je sais aussi que tu es très impliqué dans l’éducation et que tu as fait beaucoup par le passé, notamment avec le projet Stay in school ; continues-tu à agir pour cette cause aujourd’hui ? Ouais, nous avons toujours notre projet Stay in school, car c’est quelque chose de nécessaire et d’infini : encourager les jeunes générations à prêter attention à ce qu’elles apprennent. On a un plus grand champ d’action aujourd’hui, donc on peut résoudre des problèmes et tout ça. Il y a probablement moins de guerre et de conflit en Jamaïque. Pour l’instant, l’école est finie, ce sont les vacances. Mais l’école reprend en septembre. On se tient donc prêt à continuer le projet tous ensemble, on prépare les cahiers et les fournitures. On a l’habitude de récupérer des ordinateurs, des logiciels et des trucs comme ça, afin de les ramener dans les écoles. Le projet prend maintenant une tournure beaucoup plus directe, on travaille main dans la main avec les familles, dans les communautés. On va à la librairie et on achète des livres de cours, pour 500 dollars, 1000 dollars, 1500 dollars, voire plus… On les distribue à différentes familles, aux parents, car nous savons quels sont les besoins. On achète des chaussures pour d’autres, on achète des cahiers d’exercice et des stylos, avec un message du Red Square ou de Spragga Benz et souvent un discours de Marcus Garvey, enfin quelque chose d’émancipant.
Pour finir, quels sont tes projets pour le futur ? Je t’ai déjà vu en France aux côtés de Don Carlos ; est-ce que tu reviendras bientôt ? Je suis dispo pour revenir et pour leur donner une meilleure performance. Probablement avec mon propre groupe cette fois et tout mon entourage, pour leur donner un show complet. J’attends ça… Et puis, les projets sur lesquels je travaille actuellement ? Je travaille sur un projet qui s’appelle “Shotta Culture” ; c’est un album au style un peu voyou. Puis, je travaille sur un autre avec Rookie Production, on ne lui a pas encore donné de titre, mais il est enregistré complètement. Nous aurons aussi un autre album avec Builders Music, qui s’appelle “Love Rasta”, et également un autre projet avec Stephen Marley, qui n’a pas encore de titre, mais on a déjà quelque chose comme 8 chansons. Enfin, les chanteurs avec qui je m’associe sont toujours actifs, les différents producteurs aussi, donc on va sûrement faire un “Thug Nature Volume 2”. Bref, il y a un grand nombre de projets… Le Red Square travaille sur un album aussi, avec Assassin, Spragga Benz, Sugar Slick, tout le crew… Il y a beaucoup de travaux en cours…
As-tu juste un petit message à laisser, un big up à passer, pour Reggaefrance et pour tous tes fans français ? A tous les fans français et à Reggaefrance, c’est Spragga Benz et sachez toujours que le monde est amour et positivité, plein de vie et d’espoir… Blessed love !
Remerciements : Genie
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