INTERVIEW :
Propos recueillis par : Irie Nation
Photos : Félix Rioux - www.felixrioux.com
le vendredi 11 mars 2011 - 10 522 vues
Né en Suisse d'un père Guadeloupéen et d'une mère helvète, Cali P a fait ses classes à Zürich avant de prendre la décision de déménager son studio en Jamaïque. C'est là, au cœur de la ville qui a vu naître le reggae, qu'il a installé son label Inspired Records.
Parmi ses nombreux projets, il y a notamment la réalisation de la BO du film "Like A lion", consacré au skieur Tanner Hall. Invité en septembre 2010 à Montréal par le International Freeski Film Festival, où le film était présenté en avant-première, c'est là que l'ont rencontré nos confrères de Reggae.be. L'interview a été complétée au début de l'année par téléphone.
Reggaefrance / Qu’est-ce qui t’a amené au Canada? / J’ai été invité par le IF3 (International Freeski Film Festival). Hier soir a eu lieu la sortie d’un film appelé "Like A Lion", qui est consacré à la vie de Tanner Hall, un des meilleurs skieurs freestyle de tous les temps. Comme j’ai réalisé la bande originale de ce film, j’ai été invité pour un concert, avec également le Jamaïquain Mikey Dangerous et le Français Biga Ranx.
La B.O. du film est produite par ton tout nouveau label Inspired Records. Est-ce que c’était votre première production ? Avant cela, nous avions déjà sorti quelques sons, comme la mixtape avec Black Chiney (en téléchargement gratuit ici) ou le Scrub-a-Dub riddim. Mais la vraie première sortie officielle est le projet "Like A Lion". Nous avons créé tous les riddims. C’est moi également qui chante la plupart des titres mais nous avons aussi fait appel à d’autres artistes : Fantan Mojah, Munga et Charly B. Nous avons aussi Full Klip sur l’album, un jeune artiste qui enregistre pour nous et dont nous faisons la promotion. Pour l’avenir, nous avons plein d’autres projets dans nos cartons !
Qui est la Inspired Family comme tu l’appelles ? Inspired Music, c’est un label, mais c’est toute une famille qui est réunie sous ce nom. Moi, j’écris des paroles et je chante. On a Phantom qui crée les riddims et qui est aussi notre ingénieur studio, c’est lui qui a monté le studio et qui fait tous les mixs. Nous avons aussi des selectors, d’autres chanteurs… C’est un mouvement qui ne fait que commencer, Inspired Music est encore tout frais. Nous avons aussi des gars qui sont dans la vidéo, sous l’appellation Inspired Media : ils font des films promo et des clips vidéo.
Le studio d’Inspired, c’est comme notre maison. C’est notre base. En tant qu’artiste, c’est par le biais du studio que tu peux avancer. Je suis libre. Nous l’avons appelé Inspired parce que l’inspiration peut venir à toute heure et si tu as un studio à disposition, tu peux donner vie à tous ces élans. Le studio a d‘abord été mis sur pied à Zurich, en Suisse.Mais maintenant, tout l’équipement est en train d’être transféré en Jamaïque où nous allons reconstruire le studio et nous continuerons notre travail à partir de là-bas.
Pourquoi est-ce que tu as décidé de tout déménager là-bas ? La première raison est musicale. Quand j’étais chez moi à Zurich, je passais le plus gros de mon temps en studio, aussi bien le jour que la nuit. Donc je pouvais tout aussi bien le faire en Jamaïque. Ensuite, quand tu produis du son, que devient-il ? En Europe, personne ne va venir dans ton studio, prendre ta musique et aller en faire la promo. Par contre en Jamaïque, il y a des gens qui sont intéressés d’aider un projet à se développer. Il se passe quelque chose avec la musique.
Est-ce que tu penses que la musique produite en Europe ne touche pas le reste du monde ? Mon point de vue sur la chose est celui-ci : je pense qu’en Europe les gens se limitent trop. Ils vont d’abord se demander « D’où vient cette musique ? » Chacun préfère en général le son qui vient de chez soi, mais il faut écouter la musique avec ses oreilles et pas regarder la tête de celui qui la fait ! Ce que je veux faire, ce sont des chansons qui sont claires pour tout le monde. La première musique que j’ai ressentie, c’est le reggae. Cette musique est directe et vraie.
[QUATRE MOIS PLUS TARD] Comment évoluent tes projets ? Tout le matériel est arrivé en Jamaïque. En ce moment même, des ouvriers sont en train de prendre des mesures pour construire un nouveau bâtiment dans le jardin de notre propriété : c’est là qu’on réinstallera le studio. Pour l’instant, si j’ai du travail de studio à faire, je passe chez Bobby Digital. Je travaille aussi avec ses fils : ils sont mes amis depuis longtemps et font donc partie de mon projet. Ils sont comme des membres de Inspired Music. Comme une famille.
Ton déménagement en Jamaïque est donc positif ? Oui, c’est très positif. J’ai un très bon retour des gens d’ici. Juste hier, c’était le lancement officiel du clip vidéo de la chanson Like A Lion sur TVJ, la télévision nationale jamaïcaine, c’était un genre de première mondiale. Et c’était excellent, les gens apprécient réellement la vibe ici. Le matin d’avant, j’étais interviewé par une DJ, Jenny Jenny, sur Radio 92 FM. Elle a posé la question aux auditeurs : « Faut-il garder Cali P en Jamaïque ou le renvoyer en Guadeloupe ? » Les gens ont appelé et aucun n’a fait de commentaires négatifs ! La chanson dont nous faisons la promotion en ce moment, Hotstepper, fait un buzz en Jamaïque. Les gens en parlent comme d’un nouveau style qui arrive. En Jamaïque, tu sais, ils sont toujours à la recherche de nouvelles tendances, de nouvelles modes. L’autre jour, j’étais dans le trafic, on allait en ville pour manger un bout.La chanson passait à la radio, et le DJ a commencé à faire des pull up et à rejouer le morceau encore et encore, pendant 20 minutes ! Pour un titre qui dure trois minutes ! Quand on considère l’aspect “business” de la musique, si tu veux te faire connaître du public, il faut faire connaître UNE chanson. C’est quand les gens connaissent ce titre qu'ils vont commencer à s’intéresser au reste de ton œuvre.
Quel but espères-tu atteindre là-bas ? Tu sais, depuis longtemps, mon centre d’intérêt est l’Afrique. Maintenant, j’espère que ce mouvement que je fais vers les Caraïbes me permettra dans l’avenir de pouvoir travailler en Afrique dans les meilleures conditions. C’est pour cela que j’ai bougé. Je sais que si je parviens à faire connaître et apprécier ma musique à partir de la Jamaïque, elle aura un plus grand impact et cela me donnera plus de moyens d’aller faire ma mission en Afrique. Cela sera plus facile alors. Je suis allé en Afrique assez jeune, j’avais 18 ans. Mon père m’y a envoyé pour voir ce qu’il était nécessaire d’y faire, voir quelle mission je pouvais y accomplir. Et quand j’étais en Afrique, j’ai eu une vision très précise de ce que je pouvais faire. C’est à cela que je travaille maintenant.
D’où es-tu originaire ? Mon père vient de Guadeloupe et je suis né en Suisse d’une mère suisse. Mon père est venu habiter en Suisse pendant un moment pour être présent pendant que je grandissais. On bougeait beaucoup entre la Suisse et la Guadeloupe. Quand j’ai eu douze ans, mes parents se sont séparés. Mon père est reparti vivre dans les Caraïbes et ma mère est restée en Suisse. Mon cœur se trouve donc entre les deux pays.
Ton père était musicien. Est-ce qu’il t’a plongé dans la musique dès le plus jeune âge ? Oui, tout à fait. J’étais dans la musique « from creation ». Mais je pense qu’il l’a fait sans vraiment le planifier. C’est juste venu naturellement, grâce à sa façon d’être et son style de vie. Quand j’étais tout gamin et que je restais avec lui à la maison, il était sans cesse occupé à fabriquer des percussions, pour ensuite les vendre, et toute la journée, il passait des disques. Du reggae bien sûr. C’est dans ce contexte que j’ai grandi : je le regardais construire des instruments, je jouais des percus, j'écoutais du reggae et c’était moi qui changeais les vinyls sur la platine. Quand j’étais gosse, c’était quelque chose de magique pour moi de changer le disque, le regarder tourner et entendre de la musique en sortir. Alors je dansais et chantais.
Est-ce que tu as pratiqué les percussions ? Oui, j’ai commence à jouer de la batterie et d’autres percussions très jeune. J’ai eu ma première batterie vers 6 ou 7 ans, j'en jouais énormément. Quand j’ai eu treize ans, des amis de mon père m’ont demandé de les aider en tant que batteur pour certains concerts de leur groupe de reggae. J’ai fait cela jusqu’au jour où je me suis dit que si je voulais avoir un avenir dans la musique, alors il fallait que je chante. J’écrivais et je chantais déjà à l’époque, mais mon intention n’était pas vraiment de me retrouver sur le devant de la scène et de chanter. Mais à un moment donné, j’ai pris ma décision.
Est-ce également ton père qui t’as enseigné la culture rasta ? Oui, j’ai grandi avec un père rastafarien. Mon père est réellement tourné vers l’Afrique. C’est le cas pour tous les rastaman, bien sûr, mais chez lui, c’était réellement à un niveau supérieur. Il a étudié énormément sur l’Afrique : la musique, la culture, l’histoire… Comment vivent les Africains, ce en quoi ils croient, comment ils vivent au jour le jour… Et j’ai également voyagé plusieurs fois en Afrique. Cela m’a donné beaucoup de force. Quand on y pense, tout vient de la nature. Si dans ta vie tu ne fais qu’un avec la nature, et que tu sais que la nature est bonne, ta vie sera plus facile. Les Africains sont très sages et ils connaissent très bien la nature. En Afrique, il suffit parfois de s’asseoir, d’observer et d'écouter pour apprendre plein de choses. Certaines choses même, dont tu n’aurais pas soupçonné l’existence ! Il n’y a que le temps et l’expérience qui peuvent t’apporter cette connaissance.
Tu dédiais beaucoup de temps à la musique, est-ce que malgré cela tu as pu suivre une scolarisation normale ? J’ai suivi un enseignement classique en Suisse. Par contre, pendant les deux dernières années de ma scolarisation, j’étais déjà sur les routes, en tournée sous le nom de Cali P. Parfois j’appelais à l’école pour leur dire que j’étais malade alors que par exemple j’étais au Summerjam pour donner un concert.
A la fin des études, tout le monde commence en général à chercher un travail, ou bien part faire un stage… Mais je ne me voyais pas faire cela. Je leur ai dit que je voulais faire de la musique mon métier et ils m’ont répondu que la musique n’est pas un travail. C’est là que je me suis trouvé en décalage par rapport à mon école. Parce que la musique c’est du boulot. Mais en Europe, ils ne veulent pas accepter cet état de fait.
Tu pars très bientôt en tournée en Europe. Qu’est-ce qui est au programme ? Il y a des dates en France, en Suisse et en Autriche. Nous sommes toujours occupés à la promotion de l’album "Like A Lion". Par la même occasion, je vais en Suisse parce que j’ai aussi un album qui sort là-bas, pour le marché européen : il s’appelle "Unstoppable". C’est un projet que j’ai fait avec un producteur en Suisse. Mais attention, ce n’est pas un album reggae. La vibe est surtout dancehall, hip-hop avec des touches de r’n’b. C’est pour cela que je ne voulais le sortir qu’en Suisse à la base. Car je suis un artiste reggae pour de vrai. Donc les albums que je veux sortir pour le monde entier doivent être strictement roots reggae. Je travaille en ce moment sur un album dans cette vibe, en Jamaïque, qui s’appellera "Musically Speaking". Il aurait déjà du sortir, mais "Unstoppable" a été terminé en premier, et comme nous avons investi pas mal en production et pour tourner des clips vidéo, on ne voulait pas le mettre de côté. Mais je le répète, ce n’est pas un album pour tous les fans de Cali P l’artiste reggae. Si c’est votre cas, vous seriez déçus. "Unstoppable" a une autre vibe.
L’album roots devrait lui sortir en 2011 ? Oui, tout à fait. Je travaille à la promotion en ce moment en Jamaïque et je prépare le terrain pour sa sortie. Je veux créer une attente pour cet album, je veux vraiment faire forte impression, et prendre mes distances par rapport au courant commercial du dancehall. Je veux revenir aux vraies racines et à la vraie culture jamaïcaine. Pour "Musically Speaking", nous utilisons aussi bien des riddims frais que des anciens riddims remis au goût du jour. Il y aura aussi quelques riddims de chez Digital B.
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