INTERVIEW :
Propos recueillis par : Clément Chauveau
Photos : DR
le mercredi 28 avril 2010 - 12 022 vues
Depuis son hit Herbalist et l’album "Soul Pirate", compilation de ses premiers singles solo, de l’eau a coulé sous les ponts pour Alborosie. L'un des artistes les plus populaires en Europe a sorti son deuxième album, "Escape from Babylon", l'an dernier, au succès immédiat. La belle histoire du Sicilien exilé en Jamaïque continue. Entretien.
Reggaefrance / Tu as sorti un nouvel album ''Escape from Babylon'', raconte-nous son histoire: / 'Escape from Babylon'', c'est en quelque sorte un album ''sans stress'', décontracté. Après ''Soul Pirate'', j'ai eu envie de me poser et de faire la musique que j'aime. Cela me tenait vraiment à cœur. C'est un album new school et old school en même temps, avec des chansons assez diverses, à mon image.
Le titre Escape from Babylon a-t-il quelque chose à voir avec ton départ pour la Jamaïque? C'est possible. C'est à celui qui écoute de le décider. Escape from Babylon est comme une méditation, un voyage où chacun vient trouver son compte.
Tu reste très attaché à l’Italie, comme le montre la chanson Mama she don’t like you. Comment arrives-tu à garder tes racines italiennes en Jamaïque ? Je suis Italien, ce sont mes racines. Le fait que je sois Italien ne changera jamais. Je suis avant tout Italien, même si aujourd’hui j’ai aussi un passeport jamaïcain. En fait, je suis autant Italien que Jamaïcain, j’ai la double nationalité.
 Je suis un Africain. Je viens de Sicile, c’est la Méditerranée, tout proche de la Tunisie, de l’Afrique.  Tu suis toujours la politique en Italie ? Tu n’as pas besoin de suivre la politique en Italie. Tu n’as qu’à allumer ta télé, et tu auras l’impression de regarder une comédie. Il n’y a plus de politique en Italie.
Le titre Mr President vise directement Silvio Berlusconi. Pourquoi as tu choisi d’écrire une chanson comme celle-la ? Parce que ce que je veux c’est un meilleur président. Je veux aussi la liberté. L’Italie est en train de connaître une période qu’elle a déjà vécue, où la liberté n’est plus une valeur primordiale et cela me révolte.
Chanter cette chanson, c'est ta façon de t’exprimer malgré le fait que tu vives et vote en Jamaïque ? Oui, c’est mon moyen d’exprimer ma frustration par rapport à cette situation. Je suis un artiste et j’écris, je joue ce que je veux. L’écriture permet de véhiculer des messages, j’espère pouvoir toucher les gens conscients. Car les gens sont libres, ils prennent ce qu’ils veulent, ce qu’ils préfèrent dans ma musique.
Le Rototom Sun Splash Festival quitte l’Italie pour l’Espagne à cause d’une atmosphère politique pesante. Que penses-tu de cet évènement pour le monde du reggae en Europe? C’est un exemple d’un certain retour au fascisme, de la mise en place par Babylon du “mental slavery” dont Bob Marley parlait. Toutes les musiques doivent pouvoir être entendues en Italie et ailleurs. C’est pourquoi j’ai écris une chanson intitulée “Rototom free”, pour supporter ce festival.
Tu la joueras durant ta tournée? Oui, bien sûr. Je l’ai écrite pour ce festival mais aussi pour tous ceux qui sont troublés par la police et les autorités, comme Uppsala.
Tu étais là-bas en 2008, quand Sean Paul et beaucoup de personnes dans le public furent arrêtés pour détention de marijuana. Et là aussi tu as écrit une chanson… Oui, en l’honneur de la liberté d’expression. A mes yeux c’est une valeur fondamentale.
Tu as écrit Operation Upssala, tu chantes Irusalem, here I am, on sent comme une inspiration venant d’Alpha Blondy, non ? Oui, tu sais je paie un tribut aux vétérans. Alpha Blondy est un maitre pour moi. Je respecte énormément sa musique, il fait partie de ceux qui ont fait du reggae ce qu’il est aujourd’hui. Si les gens aiment le reggae c’est grâce à des artistes comme lui, comme Bob Marley.
Il y a de nombreuses références à l’Afrique dans cet album, dans la musique mais aussi dans les paroles… Je suis un Africain. Tu sais je viens de Sicile, c’est la Méditerranée, tout proche de la Tunisie, de l’Afrique. L’Afrique est le berceau de l’humanité et donc de la musique. La musique africaine et le reggae africain font quelque part, partie de ma culture. Lorsque j’ai fait cet album, j’avais en tête cet héritage.
Que penses-tu du projet de Damian Marley et de Nas de faire un album mixant reggae et hip hop, au profit de l’Afrique, justement... J’ai été en Californie et j’en ai entendu parler. Malheureusement, les retours ne sont pas si bons. Mais je n’ai pas tout écouté donc je ne peux pas vraiment me prononcer. J’ai ma manière de jouer du reggae; c’en est une autre. Mais Damian Marley est vraiment un super artiste, un des meilleurs. Je pense qu’il peut tout faire, c’est le fils de Bob Marley ! (rires)
Comment ''Escape from Babylon'' a-t-il été perçu en Jamaïque? En Jamaïque, les gens ne se préoccupent pas des albums. La musique fonctionne autrement là-bas, tu es attendu sur une chanson, pas sur un album. J’ai sorti le single Blessing, avec Etana qui a bien marché en Jamaïque.
As-tu le sentiment d’avoir quelque chose à prouver aux Jamaïcains ? Non, je ne pense pas. J’ai beaucoup appris depuis que je suis arrivé en Jamaïque. L’île, les enfants, les gens, j’apprends d’eux tous les jours. Je ne pense pas avoir de choses à prouver. Je crois que je me suis déjà prouvé quelque chose à moi-même en arrivant là où je suis. Je continue ma mission, la mission de Jah, toujours tout droit.
Lors de notre dernière rencontre tu disais que c’était parfois difficile d’être blanc en Jamaïque. Comment cela ce passe t-il aujourd’hui ? Désormais c’est entré dans mon quotidien. Je suis passé au dessus, parce que je vis en Jamaïque et que je suis obligé de vivre avec le fait que je suis blanc. Partout où tu vas, tu dois te battre pour te faire une place, c’est la vie. Cela peut arriver en France aussi. En Jamaïque je ne me fais pas agresser lorsque je joue sur scène, alors que je peux l’être en France (lors de son concert du 10 mars 2010 à Nantes, Alborosie reçoit ce qui semble être un verre de bière au visage et quitte la scène durant 30 minutes avant de revenir, ndlr).
Aujourd’hui le dancehall a plus de succès que le reggae en Jamaïque, que penses-tu de ce phénomène? Le dancehall c’est pour les jeunes générations. Le reggae est pour les gens conscients, les générations plus âgées, plus inspirées. Le dancehall est à la mode, les jeunes aiment les thèmes que ce genre véhicule, les histoires de gangster, etc. Le reggae c’est autre chose, c’est d’autres messages, une philosophie différente.
Tu es un vrai fan de rub-a-dub, avec une section rythmique très marquée. En tant que producteur, que penses-tu des riddims roots les plus récents? La rythmique (basse/batterie) n’est plus ce qu’elle était… Je respecte ce qui se fait actuellement. Moi je fais la musique que j’aime, je travaille chaque jour car aujourd’hui je crois qu’il manque quelque chose au reggae. J’essaye d’y apporter mon âme, avec mon groupe le Shengen Clan.
Y a t-il un ou des artistes avec lesquels tu voudrais travailler? Oui, j’aimerais beaucoup travailler avec Burning Spear. C’est un artiste qui a une grande âme, un artiste très roots. Cela me permettrait d’ouvrir encore plus mon esprit à la culture des anciens, de ceux qui ont crée le reggae. En dehors de Burning Spear, j’aurais adoré chanter avec Bob Marley mais c’est sûr que ce n’est plus possible désormais...
Seras-tu derrière ta télé pour le Mondial cet été ? Oui, je pense suivre la Coupe du monde, mais je ne soutiendrai surement pas l’équipe d’Italie. Les footballeurs italiens sont tous des mannequins ou autres « beaux gosses » qui ne pensent qu’à se pavaner dans les médias. Cela me dégoute, ce n’est plus du sport. Je serai plutôt derrière les équipes africaines. D’autant plus que Silvio Berlusconi est impliqué dans le football en Italie (Il est le président du Milan AC, ndlr).
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