INTERVIEW :
Propos recueillis par : Smaël Bouaici
Photos : DR
le vendredi 30 janvier 2009 - 19 052 vues
C’est le retour de Tairo ! Depuis son apparition en 1997, l’ex-enfant prodige du reggae français a connu des hauts et des bas. "L’homme aux featurings qui n’a pas d’album" nous arrive enfin avec son premier opus, "Chœurs et Âme", pas forcément là où on l’attendait.
Reggaefrance / Enfin le premier album. Qu’est ce qui s’est passé ces dernières années ? Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? / Disons que c'est mon premier album pour le public. En 2004, j’ai signé avec BW, j’ai fait un album qui n’est jamais sorti. Ils n’ont pas rempli leur contrat, donc je me suis séparé d’eux. Kilomaitre a racheté les bandes, on a gardé quatre titres, on en a réenregistré huit et voilà. A part ces quatre titres, les autres morceaux sont vraiment dans l’humeur de l’année dernière : trois ans de galère avec ce label, une histoire amoureuse compliquée et douloureuse, beaucoup de remises en question, l’envie et le besoin d’exprimer tout ça, de parler de moi…
Dans quel état d'esprit as-tu écrit ces chansons ? Pour cet album j’avais vraiment besoin d’être dans une bulle, pas d’être à la mode. J’avais besoin de faire mes chansons tranquille. Je n’avais pas envie de faire des choses spectaculaires, juste besoin de me retrouver, de faire des choses un peu plus simples, de retrouver les bases. C’est un premier album, mais on sent que je n’ai plus quinze ans. J’aurais pu faire un album reggae dés le début, faire celui-ci puis un autre différent, mais il s’avère que c’est le premier. Comme Picasso a eu sa période bleue, moi j’ai aussi cette période intimiste. Peut-être une sorte de passage à l’âge adulte.
Tu fais ta promo avec cette phase « L’homme aux featuring qui n’a pas d’album ». Tu te sens revanchard ? Cette ligne, ça me permet de prendre un peu de recul, c’est pas une revanche, c’est une private joke pour les gens qui me connaissent.
 "Choeurs et Âme" était important pour exorciser, passer une étape, pour me dévoiler un peu plus.  A tes débuts, tu as ressenti beaucoup de pression, trop peut-être ? Je pense surtout qu’après Taxi, je n’étais pas prêt pour faire un album solo, c’est surtout ça. C’est pas que j’avais pas envie, mais j’étais trop dans la recherche de moi même, trop en proie au doute pour pouvoir composer. En ce sens, la mix-tape m’a beaucoup aidé, c’était le premier truc sorti sous mon propre nom, ça m’a enlevé de la pression par rapport aux attentes des gens.
Tu as fini par trouver ton style ? Je sais pas. En fait, mon style est fait de plusieurs styles. Sur cet album, il y a plus de chants, pas trop de toasts. Ce sont des titres mid-tempo, pas trop club, c’est vraiment des chansons, on voulait privilégier la mélodie et le texte. C’est plutôt un album à écouter chez soi.
On a l’impression que tu veux te détacher un peu du dancehall. Disons que c’est plutôt un besoin de me retrouver, de faire des chansons sur mes sentiments du moment. Un titre comme Jusqu’au bout, qui a un accent un peu pop, avec le recul je ne sais pas si je la referai comme ça. Mais je trouve intéressant de lancer des pistes, de s’essayer. Avec le recul, je me rends compte que c’est intéressant de faire les morceaux dans l’instant, de ne pas trop laisser le temps les user, sinon tu peux laisser encore le doute s’installer. Là, j’ai fait un premier album, j’ai très envie d’en faire un deuxième. En ce moment je suis dans une vibe reggae auto tune, je veux revenir à ça, mais ce disque était important pour exorciser, passer une étape, pour me dévoiler un peu plus.
L’album est plus pop que reggae. Est-ce que tu as la pression du milieu reggae, par rapport à tes compositions ? Le reggae français tient parfois du ghetto musical. Je ne pense pas devoir quoi que ce soit à ce milieu. Je viens du reggae, j’en suis fier, c’est une super école, une bonne partie de mon inspiration vient de là. Je suis toujours halluciné de la créativité des nouveautés jamaïcaines, Je suis toujours fan, mais le milieu du dancehall, la société en général n’est pas dans l’entraide, je n’ai pas eu l’impression d’avoir reçu beaucoup de soutien de la part du reggae. Je ne le déplore pas, c’est un constat.
Tu en as eu plus de la part du hip-hop. Au niveau des featurings, c’est clair. Le hip hop c’est plus carré, il y a plus d’albums de rap que de reggae, donc plus d’occasions. Je ne veux pas appartenir à un clan. Je préfère les individus sincères, pas forcément des rastas ou des reggaeboyz, plutôt que des gens qui utilisent des clichés. J’ai l’impression que les rappeurs français ont réussi à mettre à leur sauce la culture hip-hop, et le rap notamment. Il y a une influence majeure du rap US, c’est logique, mais malgré tout, il y a une identité du rap français qu’on n’a pas encore dans le reggae français, surtout dans le discours. Il y a plus de clichés dans le reggae que dans le hip-hop, notamment l’aspect religieux du reggae qu’il n’y a pas dans le rap. Si ne t’es pas rasta, si tu veux faire du reggae, on peut te montrer du doigt.
C’est quand même une belle ironie de l’histoire, parce qu’à la base le reggae n’est pas rasta. C’est marrant quand même. Le rastafarisme est censé être une façon rebelle de se réapproprier la Bible, mais malgré tout, cette lobotomie a marché quand même. Au moment où le rastafarisme est entré dans le reggae c’était salvateur pour la Jamaïque, le Roi noir face à une reine blanche etc. Aujourd’hui, il y en a pas mal qui crient « Repatriation », alors qu’ils ne tiendraient pas deux secondes en Afrique.
Pourquoi dans le reggae, on ne parle pas des cités ? Les gens qui viennent au reggae sont souvent saoulés par le hip-hop qui, dans notre génération, est la première culture. Ca leur semble plus cool. Les gens n’ont pas assez confiance en eux et en leur propre histoire pour la raconter en chansons. Donc ils foncent dans les clichés. Au delà de ça, l’enjeu majeur c’est le problème d’identité, la France n’a pas réussi à gérer l’immigration. On te demande toujours d’où tu viens. Une bonne image c’est celle que donnait Rachid Djaidani, l’auteur de Boumkoeur. La première fois que tu montes dans le RER avec ta tête d’arabe, tu t’assois sur un 4 places, t’attends tu penses que des gens qui vont venir s’asseoir à côté de toi. En fait tu fais tout le trajet tout seul. Deuxième voyage, pareil. Troisième voyage, tu mets tes pieds sur le siège d’en face. Quatrième voyage, « Ben le premier qui vient s’asseoir en face, je vais lui… » Après ça veut pas dire qu’il faut tout excuser, il faut passer au delà de ça. Il ne faut pas tomber dans le racisme inversé, hyper communautaire. Ce n’est pas la solution.
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