INTERVIEW :
Propos recueillis par : Nicolas Swartebroeks
Photos : Camille Frich
le mercredi 06 août 2008 - 8 542 vues
Désireux de développer sa carrière en toute indépendance, Bushman nous faisait part en 2004 de sa volonté de produire lui-même sa musique via son label Burning Bushes. C'était déjà le cas pour l'album "Signs", sorti la même année, et ça l'est de nouveau pour son nouvel album, "Get it in your mind". Alors que le Medecine Man était de passage en France, on ne pouvait rater l'occasion de faire le point sur sa nouvelle vie de producteur, ses réalisations et ses projets.
Reggaefrance / Comme pour "Signs", tu as produit toi-même ton dernier album, "Get it in your mind", comment est né cet album ? / "Get it in your mind" est né d’une collaboration avec différents producteurs comme Donovan Germain (Penthouse), moi-même, Jah Win, Gully, le fils de Joe Gibbs qu’on appelle Gibbo… L’idée était de faire une chanson par producteur, puis de les compiler. Nous avons écouté les opinons des gens autour de nous, des personnes qui travaillent pour Burning Bushes, les amis, la famille.
Regrettes-tu d'avoir fait le choix de l'indépendance ? On imagine que c'est plus difficile… C’est un challenge. Quand tu fais ça par toi-même, ça te demande plus financièrement, physiquement et spirituellement. Il te faut trouver les investisseurs et utiliser les meilleures stratégies pour arriver à tes fins.
Tu as l'intention de sortir des albums d'autres artistes sur ton label ou de te concentrer sur tes propres morceaux ? On a déjà produit des artistes sur Burning Bushes mais on essaie de trouver des distributeurs internationaux capables d’investir dans le label pour mener à bien ces projets. Tu sais, c’est comme partir d’une feuille blanche, mais on a quelques artistes comme Mojah Herbs, Higha Lion, I Lue… L’album de I lue sera d’ailleurs une des priorités pour le label Burning Bushes. Je fais un featuring sur son album ; on avait déjà une chanson sur un de mes albums et depuis il est rentré dans l’équipe d’artistes dont Burning Bushes fait la promotion. C’est vraiment un artiste que je veux mettre sur le devant de la scène.
La dernière fois qu'on s'est rencontrés, en 2004, tu nous disais que tu voulais bosser avec plein de producteurs, as-tu concrétisé cette envie ? Et bien pas exactement, c’est encore en chemin. On n'a pas couvert la moitié des producteurs avec qui je voulais travailler. On pense a des collaborations internationales, six mois de l’année en Europe avec différents producteurs et six mois aux Etats-Unis. C’est la découverte d’autres manières de travailler, de nouvelles idées et je suis toujours prêt à apprendre.
Aujourd'hui avec quels producteurs voudrais-tu travailler ? Et bien, Oral Boomers en Irlande et Général des Etats-Unis. Il travaille avec des artistes comme Jay Z par exemple et nous travaillons en collaboration sur une chanson qui s’appelle Silverado que j’ai écrite il y a déjà un moment puisqu’elle date de 1989. Il l’a ramenée aux Etats-Unis et il l’a travaillée, remixée… Il me l’a jouée il n'y a pas longtemps et il m’a proposé de venir aux USA pour travailler sur de la fusion reggae. On est encore en train de travailler dessus. Ce qu’on veut faire avec Burning Bushes c’est quelque chose de différent des autres producteurs. C’est pour ca que j’ai décidé de monter ce label car les producteurs en Jamaïque pensent à leurs propres intérêts, pas à ceux de l’artiste. C’est plus l’appât du gain qui les intéressent, pas l’approche artistique.
Tu nous disais que tu voulais te mettre à la guitare, tu as du devenir un sacré guitariste depuis… Oui j’en fais un peu, mais à cause de mon travail, ça n’avance pas aussi vite que je le voudrais. Il faut que j’en apprenne plus. Quand tu arrives à un certain niveau, tu as besoin de quelqu’un encore meilleur pour t’apprendre d’autres choses, mais le système fait qu’en Jamaïque tout coûte de l’argent... Mais lorsque tu payes quelqu’un pour faire quelque chose, ça ne vient pas forcément du cœur.
Avec des guitaristes comme Jahlonzo ou Earl Chinna Smith tu as du apprendre quelques petits trucs, non ? J’ai bien appris quelques trucs, mais ce qui te rend bon sur scène c’est la confiance en toi et je suis encore un peu trop timide pour prendre ma guitare devant un public.
Je sais que tu es proche de Luciano comment l'as tu rencontré ? Je l’ai rencontré dans un studio de dubplates, car comme tout artiste jamaïcain, lorsqu'il fait de l’argent, même à l’étranger, il en reverse un dixième à d’autres artistes pour les aider... Buju Banton, Anthony B et beaucoup d'autres font ça, c’est comme ca qu’on rencontre d’autres artistes. Un jour Luciano a entendu un de mes dubplates dans un studio. A l'époque mon nom d’artiste était Junior Melody. Il a demandé à l’ingénieur du son si j’étais dans le coin et il est venu me voir en me disant "mon seigneur, sort de ton château pour te battre avec moi contre le démon, Jah ! Rastafari !".
C'est à cause de tes faiblesses au foot que tu as pu lancer ta carrière… (rires) Et bien j’avais en ce temps-là qu’une seule paire de bottes, des grosses bottes que je portais partout. Si les gens improvisaient une partie de foot et bien je jouais avec mes bottes. C’est ce qui s’est passé je n’arrêtais pas d’écraser les pieds de Steely (de Steely & Cleevie, ndlr) ; il m’a charrié avec ca je lui ai di que je n’étais pas venu pour jouer au foot mais pour chanter. Il m’a demandé de chanter un petit quelque chose pour lui. Après le premier acapella, il m'en a demandé un deuxième, puis il m'a dit d’aller à son studio pour écouter quelques riddims. Il faisait très froid dans le studio, dans les 16° à cause de l’air conditionné. Nous avons enregistré le premier morceau d’un coup, et c’est comme ca que deux semaines après la bénédiction de Luciano ma carrière professionnelle a commencé.
En 2004, tu nous disais que tu avais également un deal de cinq albums avec VP, le deal est toujours valable ? Non je n’ai plus de deal avec VP, on a rompu le contrat en 2004. Tu sais pour les Rastas tu ne rêves pas, tu as des visions de ce que tu veux faire, et c'était le cas pour "Signs" : je voulais un album complètement live. Dans toutes les interviews, je parle de la musique de Bob Marley qui sonne encore fraîche après autant d’années. J’avais envie de ramener cette qualité au reggae donc nous avons fait l’album avec mes musiciens tous les morceaux live car ma vision était de pouvoir reproduire l’album live sur scène, sans qu’il y ait de différences avec l’album. Je pensais que comme cela mes fans seraient contents.
VP a un marché sur le dancehall en Europe, mais a toujours négligé le reggae. Quand on s'est rencontrés en 2004, on faisait la tournée pour augmenter les ventes d’album, c’est le but des tournées. Mais on n'a même pas pu vous donner un CD, on n'avait rien pour faire de la promotion. Pour moi, le contrat était rompu. Quand je suis venu les voir pour Buckingham palace j’avais la vision d’un clip fait dans un style 70's : nous souhaitions le tourner en Angleterre avec des gens qui avaient des coupes afro, dansant dans les rues en marchant vers Buckingham Palace. Mais ils n’avaient pas d’argent pour mon projet. Je leur ai envoyé un préavis expliquant pourquoi et comment ils avaient rompu le contrat. Il m’a fallu presque un an pour me sortir de ce contrat. Le problème avec VP, c’est qu’ils ne suivent pas leurs artistes : tu ne les vois pas jusqu’a que tu ais fini ton projet, pas d’appels, rien du tout. Quand on est sorti de ce contrat, on a compilé des singles fait avec différents producteurs pour donner quelque chose de frais à mes fans : c’est l’album "Get it in your mind".
Lorsque je suis allé voir Donovan Germaine (Penthouse) en lui parlant de faire un album "Bushman sings the bush doctor", Donovan a trouvé l’idée super. Lorsqu'on a fini le projet, VP a voulu l'acheter. Alors que nous leur avions proposé auparavant mais ils n’étaient pas intéressés ! Cela montre la façon de travailler de VP.
Quelles sont tes impressions avec le dancehall étant si populaire en Jamaique et les nouveaux artistes qui sortent de cette scène. Et bien la musique c’est la vie, c’est le meilleur professeur. Lorsque quelqu’un ne peut pas lire, il peut écouter de la musique et apprendre. Mais quand tu commences à faire de la musique démoniaque pour que les gens se tuent les uns les autres, ce n’est pas bon. Tu sais les crimes ont augmenté d’une façon impressionnante en Jamaïque. Les nouveaux artistes prennent leurs inspirations de ce qui se passe dans la rue, d’où les guns tunes. C’est comme ça que les faux rastas font de l’argent, c’est comme ça que tu as un gros forward en Jamaïque tu parles de guns et de baiser dur des femmes.
Pour moi la musique doit te donner un message positif. Les guns tunes et slackness tunes, c’est la musique du démon. Jamais je ne changerai de style pour chanter ce genre de morceaux, cela rend mon travail que plus noble même si je prends mon inspiration de beaucoup de styles différents et que j’aime beaucoup de styles. Le dancehall n’apporte rien. Je serai toujours le bushman, celui qui chante de la culture et qui fume ses spliffs en donnant un message positif.
Le public ne veut pas écouter de roots en Jamaïque? Non les gens ne veulent pas écouter de roots en ce moment en Jamaïque, mais à l’étranger les gens chantent mes chansons par cœur. En Europe les gens sont plus ouverts au roots et j’ai plus l’occasion de me produire a l’étranger qu’en Jamaïque. Merci aux Européens qui peuvent se reconnaître dans mes chansons. Cela me montre que je ne fais pas d’erreurs en chantant de la musique consciente.
Il y a désormais un couvre-feu en Jamaïque, qu'en penses-tu ? Je trouve ca stupide. Au moment où le couvre-feu commence, les gens ne peuvent pas rentrer chez eux comme ils veulent. En Jamaïque, il n’y pas de transports en commun comme en Europe, c’est un pays du Tiers-Monde. Il n’y a pas de police dans les rues pour te protéger, pas de bus, de métro ou de taxis à des heures tardives. Aux Etats-Unis, pas de problème, en Europe pareil. D’ailleurs on m’a attrapé dans le train avec un peu de weed. Au lieu de m'arrêter, le douanier m’a dit "ici c’est interdit, tu pourrais avoir des problèmes alors pour que tu n’aies pas de problème viens avec moi" et il l'a jetée dans les toilettes et m’a laissé repartir. Comme quoi même dans Babylone il y a des gens biens.
|
|