INTERVIEW :
Propos recueillis par : Cyril le Tallec
Photos : Marlène Boulad
le mardi 17 juin 2008 - 11 069 vues
Comme Mavado en 2006, l'ascension de Busy Signal s'est directement traduite dans les charts. Depuis son premier album prometteur, "Step Out" en 2005, Busy Signal n'en finit plus de grimper. En 2007, il avait placé deux singles exemplaires aux textes taillés dans le roc du ghetto en première position des charts (The days et Nah go a jail). Cette année, il a déjà remis le couvert avec Pon the edge. Une trajectoire ascendante dont la consécration pourrait être son deuxième album, "Loaded" chez VP en septembre, avec des titres produits par Steven McGregor (Big Ship), Don Corleon, Serani (Daseca) et Shane Brown (Juke Boxx). "Un album très varié", nous promet-il.
Entretien avec le deejay du moment.
Reggaefrance / Tu es membre de L’Alliance, comment as-tu rejoins ce crew ? / C’est Bounty Killer qui choisit et qui décide, tu rejoins une famille soudée, un groupe, une compagnie. Moi, je fais ma part du travail, il y a différents styles de dancehall au sein de l’Alliance : tu as Mavado, Wayne Marshall, Bling Dawg, Bounty killer et moi-même. Nous représentons les "Alliance Giants", après il y a les extensions… On représente au maximum pour tous nos fans.
Est-ce pour toi une consécration de rejoindre l’Alliance ? Je suis très reconnaissant pour ça. Bounty Killer est réputé pour dénicher de nouveaux talents et aider les jeunes du ghetto qui sont sérieux dans la musique. Bounty Killer a toujours cette capacité à dénicher les bons artistes en les rendant meilleurs, c’est vraiment une bénédiction.
Comment se déroule une journée en studio avec l’Alliance ? C’est un peu comme une avalanche, on arrive dans le studio et on en prend le contrôle… Le talent rencontre le talent, on s’entraide beaucoup entre nous, c’est comme une famille, on est tous frères… Bien sûr tu as Bounty qui est le grand frère, le parrain. Si l’un d’entre nous a besoin d’aide, on l’aide tous ensemble. C’est plus un pouvoir musical, une évolution dans le business.
Est-ce qu’un artiste a besoin d’un bon entourage pour réussir dans l’industrie musicale ? L’entourage n’a rien à voir, un artiste a avant tout besoin de bonnes chansons pour réussir et briser la glace. Bien sûr, tu as besoin de connections et de relations qui connaissent des gens qui connaissent eux-mêmes d’autres gens… Mais à la fin de la journée, la chose la plus importante c’est de bonnes chansons qui retiennent l’attention du public, des chansons avec une mélodie que les gens peuvent chanter… C’est la clé de la réussite pour rencontrer un succès mondial.
Tu chantes depuis plusieurs années, comment as-tu débuté professionnellement ? Je vis de ma musique depuis quatre ans. J’ai beaucoup appris de Bounty Killer, Sizzla, Capleton, Spragga Benz, Mad Cobra, Elephant man et Buju Banton… Ils m’ont aidé à me forger mon propre style en étant fidèle à moi-même. Je garde toujours un œil sur cette génération d’artistes qui ont établi les bases de notre industrie. C’est juste un apprentissage, tu n’as jamais finit d’apprendre, tous les jours de la vie tu apprends de nouvelles choses. On essaye juste de faire les choses bien, de la musique conceptualisée avec des thèmes que les gens ressentent, de la vraie musique, originale.
Ton premier album "Step Out" était très hardcore, d’où t’es venu l’inspiration ? C’est juste la vie, ce qu’il se passe autour de moi, les choses telles qu’elles sont établies… Je chante ce que je vois, je fais ce que je dis, des chansons sur la dure vie d’aujourd’hui, sur la manière dont les gens agissent, le traitement infligé aux jeunes du ghetto dans la société, la pauvreté, la politique, les bonnes et les mauvaises personnes, les chrétiens, la police, l’armée, le premier ministre… Mes chansons reflètent la réalité de la vie quotidienne.
Avec le recul tu changerais quelque chose de cet album ? Je ne changerais rien, car il se devait d’être ainsi. Je ne retournerai jamais en arrière pour y changer quelque chose…C’est un développement continu, je ne suis pas parfait , je fais du mieux que je peux, j’essaie chaque jour d’apprendre un peu plus, de faire de la meilleur musique et de m’élever un peu plus… Je ne changerais vraiment rien car cela me permet aussi de me souvenir où j’étais à ce moment-là, j’ai besoin de me rappeler d’où je viens.
Tu sembles avoir une relation privilégiée avec Mavado, comment s’est passée la réalisation de Badman place ? Je rentrais de tournée en Angleterre et suis allé directement au studio Daseca avec cette idée en tête, sur le thème des Badman place… Je voulais cibler et montrer au reste du monde la vie quotidienne d'une certaine partie de la Jamaïque, ce qu’il se passe dans les quartiers mal-famés… On est parti de cette idée et on a appelé Dave de Daseca pour jouer le riddim, on a construit la chanson sur place. On a ensuite appelé Mavado qui est venu nous rejoindre et on a finit le morceau. Assassin était là aussi. C’est juste une vibe, on écoute le riddim, on construit une vibe et on essaye de coller à l’idée de départ.
Que représente Mavado pour toi ? Peut-on espérer de nouvelles collaborations ? Définitivement, on a quelques morceaux à sortir… Mavado ne chante pas les vraies choses, il chante juste la rue, ce qu’il voit… Avec plein de mélodies et une voix bien distincte : quand tu écoutes Mavado, tu sais que c’est lui et personne d’autre, comme quand tu entends Busy, tu sais que c’est moi et personne d’autre. Ce qui émerge, c’est une belle symbiose créative et musicale.
On ressent beaucoup l’influence du hip hop dans ta musique. Où puises-tu ton inspiration ? À vrai dire, j’écoute plein de styles différents : de la salsa, de la soul, de la musique alternative, du rn’b… Quelque soit la musique, je l’entends et je l’écoute car seule la musique vivra au final… La musique est puissante, tu as différents sons et messages, chacun enseigne à l’autre, tu apprends et reprends des idées d’autrui, tu perçois sa façon de vivre ou sa manière de voir les choses au travers des mélodies… Tu peux ressentir son humeur à travers ses chansons. J’écoute plein de styles différents mais après le reggae et le dancehall, le hip hop est définitivement ma troisième source d’inspiration.
Tu es plutôt Tupac ou 50 Cent ? À vrai dire, tous à la fois… J’écoute 50 cents, Biggie, Tupac, Nas, Jay-Z, The Game, Kanye West, KRS One, Craig Mack, Big Daddy Kane, Rakim, Coolio… J’écoute tous ces gens, j’ai juste grandi avec la musique.
Comment écris-tu tes paroles, tu es plutôt one shot ou tu préfères prendre du temps et du recul pour enregistrer un titre ? Parfois ça peut être du one shot… D’autres fois, j’aime me poser, prendre le temps d’écouter mes chansons et refaire ce qui doit être refait. On écoute, on arrange, des fois on efface tout et on recommence depuis le début avec un nouveau concept… Je fais passer ça dans le laboratoire Busy Signal ! Aujourd’hui c’est le dancehall. Nous, les artistes, avons un rôle déterminant en sortant de la musique, on n'a pas le droit de sortir de la merde, on est responsable de ce que l’on sort. Il y a plusieurs façons de voir la musique. Des fois j’ai envie de m’entendre d’une manière et lorsque je m’écoute, au final, ça ne sonne pas comme j’ai envie. Donc j’ai besoin de réécouter et de délivrer la chanson de manière plus ou moins puissante. J'écoute et je corrige jusqu’à ce que je ressente le morceau.
Tu as grandi en écoutant les combinaisons entre artistes dancehall et hip hop depuis tout jeune… Quel est ton point de vue sur la connexion artistique entre la Jamaïque et les Etats-Unis ? Penses-tu collaborer prochainement avec un artiste hip hop ? Définitivement, les portes sont toujours ouvertes pour la musique. Aujourd’hui ça se passe plutôt bien pour le dancehall. En dépit de certains qui essayent de mettre en avant les mauvais côtés… Par rapport à mes collaborations, je n’ai encore eu de confirmation mais ce sont des choses en suspend car aujourd’hui le hip hop est tourné vers le dancehall… C’est juste de la musique, on essaye de rassembler les genres pour n’en faire qu’un. C’est une bonne opportunité pour le dancehall et le reggae d'avoir une exposition mondiale au même titre que le hip hop, le rn’b, le rock ou la pop. On veut juste que le dancehall rejoigne ces musiques en terme de promotion afin que les gens acceptent cette musique. C’est pour cela qu’on essaie de faire de bonnes paroles avec de vrais arguments, de la musique claire et facile à comprendre pour le reste du monde. Donc pour l’instant, même si les collaborations sont à l’ordre du jour, elles ne sont pas encore confirmées, mais j’anticipe car je suis un immense fan d’autres musiques. Quand elles se présenteront à moi, mes fans seront les premiers à le savoir.
Aujourd’hui tout le monde utilise le logiciel Antares Autotune, quel est ton point de vue ? Il faut remercier la technologie, c’est une bonne chose. Après certains artistes qui utilisent ce logiciel ne font que de la merde, c’est du vol. Trop de chansons sortent et sont inutiles, certains ingénieurs ne savent pas s’en servir comme il faudrait… C’est une fréquence qui embellit et rend la voix plus douce mais le principal souci est que certains artistes ne peuvent pas reproduire leurs chansons sur scène. Pour le pire et le meilleur, tôt ou tard, la musique ne se fera plus qu’en live, devant un public qui veut entendre des artistes reproduire à l’identique les versions entendues sur disque. L'autotune est une bonne chose pour certains artistes, ça peut être bon ou mauvais. Certains, comme je le disais, volent le public avec de la merde, ils se perdent dans l'autotune. Ce n'est pas l'autotune qui pose problème, mais les gens qui ne savent pas s’en servir.
Tu as eu quelques déboires avec Aidonia récemment… Souvent dans le dancehall, lorsqu’un jeune artiste émerge du lot, un autre arrive avec son mauvais esprit et essaye de le piétiner… A chaque fois que tu franchis une étape pour atteindre le sommet, c’est comme dans un panier de crabes ! Je ne suis pas là pour rentrer dans des jeux stupides, certains citent mon nom dans leurs chansons, et plus d’un ! On appelle ça le mauvais esprit ici. Tu ne m’entends pas citer des noms d’autres artistes dans mes paroles, tu ne m’entends pas manquer de respect à d’autres artistes dans mes chansons. Tu m’entends citer d’autres artistes quand c’est pour rendre hommage, mais pas pour la hype ou la couverture médiatique.
Certains disent qu’il y a des histoires mais moi, je n’ai aucune histoire avec personne… On ne veut pas répéter les clashs entre Bounty Killa et Beenie Man, Shabba Ranks et Ninjaman, Nitty Gritty et Supercat ou Supercat et Ninjaman ! Le dancehall regarde devant lui, on ne veut pas revenir en arrière. On veut mettre cette musique à un niveau supérieur, on veut que le public s’amuse sans l’animosité, sans mauvais esprit, sans les crabes dans le panier, sans les gens qui essaient de te monter dessus pour atteindre leurs buts. Les gens essaient de te piétiner pour aller là où ils veulent aller, ils viennent en juges ; moi, je fais juste de la musique.
C'est Demarco qui a produit ton hit Pon di edge, tu le connais depuis longtemps ? Oui, Demarco a tout fait, le riddim et il a enregistré le morceau. Il est l’un des producteurs de l’album. On a réellement commencé à travailler et collaborer ensemble il y a de cela deux ans. C’est définitivement une bénédiction car c’est un jeune plein de talents. Il sait exactement ce qu’il veut entendre, c’est mon jeune artiste… C’est un musicien et un artiste, moi je suis un artiste mais pas un musicien, je dois regarder dans sa direction aussi qu’il regarde dans la mienne, chacun enseigne des choses à l’autre… C’est comme ça qu’on fait, comme je te le disais tout à l’heure avec l’Alliance, c’est de l’entraide entres artistes. Demarco est vraiment mon artiste, c’est mon jeune artiste !
Tu as rejoint Shane Brown et son label Juke Boxx l’année dernière, depuis c’est devenu ton manager, que t'a-t-il apporté ? Je l’ai rencontré l’année dernière en début d’année… Depuis c’est positif et solide, dans le bons sens du terme, plein de changements positifs. Shane Brown n’avait pas beaucoup d’expérience dans le dancehall avant que je rejoigne le label, il faisait surtout du one drop et du vrai reggae, du rub a dub… Je suis son premier vrai projet dancehall, je l’ai emmené vers le dancehall et il m’a amené vers le one drop, c’est juste une émergence de plusieurs styles en même temps… C’est un élan positif et j’aime écouter plein de musiques différentes et suivre les conseils de producteurs expérimentés qui peuvent m’enseigner de nouvelles choses et vice versa. Shane Brown connaissait le dancehall avant que j’arrive, mais j’ai amené le dancehall à lui et en retour, il m’a apporté beaucoup de positif… J’étais à l’initiative de son premier projet dancehall mais Juke Boxx était présent longtemps avant que j’arrive… En ce qui concerne le management, il m’a apporté que des choses positives autour de moi, et, moi, j’ai apporté ce que j’avais à offrir, donc on travaille ensemble comme une équipe soudée. C’est comme un frère pour moi car il regarde toujours le meilleur pour moi et je donne le meilleur de moi-même à mon management.
Tu as récemment sortis des titres avec Morgan Heritage et Christopher Martin, que peut-on attendre de ton 2e album ? Plein de titres nouveaux, en ce moment je travaille sur un featuring avec Alborosie. J’ai des combinaisons avec Mykal Rose, Demarco, Assassin, Bounty Killer et l’Alliance, Mavado, vraiment plein de nouveaux titres exclusifs pour l’album. Cet album va montrer que j’ai mûri depuis "Step Out". J’ai changé, j’essaie de m’informer et d’apprendre plus, cela reste du dancehall mais c’est juste un peu plus mature.
Tu parlais de ta combinaisons avec Michael Rose, Real Jamaicans, c’est quoi un faux Jamaïcain ? Tu sais, les faux Jamaicains (rires)… Big up tous les gens qui aiment la Jamaïque et ceux qui veulent être Jamaïcains. Les vrais Jamaïcains sont les citoyens qui vivent en Jamaïque, tu as des gens qui prétendent être Jamaïcains sans être citoyen, mais ils aiment le pays. Quand tu leur demande s’ils sont jamaïcains, ils te répondent qu’ils sont nés ici… Je veux juste rendre hommage à ceux qui aiment notre pays et notre musique. La Jamaïque, c’est un pays du tiers monde, c’est une île, on pourrait être meilleur encore avec la musique ou avec plein d’autres choses… Le sport, le tourisme, l’événementiel, le système et la politique… La Jamaïque c’est mon endroit, ma place, j’aime mon île… Mais j’ai vraiment envie de découvrir l’Europe et le monde pour satisfaire mes fans.
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