INTERVIEW :
Propos recueillis par : Nathaël Rusch
Photos : Nicolas Lé
le vendredi 25 avril 2008 - 10 866 vues
C’est dans le cadre de la tournée de son dernier album "Another intensity", qui passait par Lille, que nous avons croisé Gentleman. Tout juste sorti de scène, le chanteur allemand a tout de même accepté de répondre patiemment à nos questions. Il évoque avec nous pêle-mêle le demi-succès de son dernier album, l’avenir de son label Bushhouse Records et sa deuxième patrie la Jamaïque.
Reggaefrance / Tu es en pleine tournée de ton dernier album, comment ça se passe ? / La tournée de mon dernier album se passe très bien, l’accueil est bon partout. Mais c’est surtout intéressant car les concerts montent en puissance de manière très progressive, chaque concert est un peu mieux que le précédent. Nous avons commencé par le nord de l’Europe, la Suède et l’Allemagne et on descend doucement. Dans le cadre de la tournée européenne de cet album, nous avons 20 dates dont 13 en France. Je fais beaucoup de dates en France même hors du cadre du dernier album, comme à Cergy pour le 100 contests. J’aime beaucoup le public français. Il faut dire qu’il évolue énormément. Au début, je n’avais que des fans inconditionnels qui venaient, puis les mêmes reviennent avec des gens qui me connaissent moins et puis avec le bouche-à-oreille, il y a même un tout nouveau public qui ne me connaît pas. C’est excellent d’avoir un public évolutif. Mais le gros avantage du public français, c’est qu’ils sont beaucoup plus réceptifs que les autres. Je pense qu’ils saisissent la musique à un autre niveau. En Allemagne par exemple, la musique est trop vue comme du pur divertissement, de l’amusement. Les français saisissent davantage le côté engagé que le divertissement. Il y a presque un engagement politique quand ils écoutent de la musique.
Ton dernier album semble avoir déçu de nombreux fans… Oui, j’ai lu moi aussi beaucoup de messages sur des blogs de fans un peu déçus. D’une manière générale, le feedback de cet album est différent des autres. Ils attendaient quelque chose d’autre apparemment.
Que leur réponds-tu ? Le truc c’est que je ne fais pas de la musique pour coller aux attentes de mon public. J’ai fait cet album selon les vibrations, mes sentiments du moment. J’ai construit mes chansons en allant dans un sens qui me satisfaisait vraiment, j’ai pensé davantage à la musique qu’à mes fans. Mais je pense de toute façon que ce disque n’est pas du genre à te scotcher à la première écoute. A mon avis, tu le mets une première fois dans ton lecteur, t’écoutes, pas de gros hits. Mais déjà à la deuxième écoute, des trucs ressortent mieux. Et puis après quelques écoutes, tu aimes et tu saisis ce que j’ai mis dans mon album. En tout cas j’espère qu’avec le temps, mes fans comprendront un jour ce que j’ai fait, et apprécieront mon travail.
Tu as fait une chanson avec IAM, comment s'est faite la rencontre ? En fait j’ai toujours été un grand fan de ce qu’ils faisaient même si j’avais du mal à bien comprendre leurs paroles. Mais j’essayais. J’ai fait un peu de français à l’école : « Bonjour Mademoiselle, comment allez-vous ? » (rires). Je les ai donc contactés par le biais de leur boîte de production. Ils appréciaient mon travail et ont tout de suite accepté de faire ce morceau avec moi. Et ça donne un titre vraiment sympa.
Comment se porte ton label Bushhouse Records ? J’édite mes chansons, mais il y a également deux autres artistes dans le label : Jahcoustix et Martin Jondo. Tous les deux sont allemands et font du bon son. Martin Jondo a eu besoin d’essayer d’autres choses de son côté en indépendant. Mais il a ressigné avec notre label. Le « fils perdu » est revenu…. (rires).
Le métier de producteur commence à te plaire ? Ca dépend vraiment de l’humeur du jour… Il y a des matins, quand je me lève, j’ai envie d’écrire des chansons, et d’autres jours de m’orienter plus vers la production. Les deux me plaisent mais je pense quand même qu’il y a trop de mecs avec des chaînes en or dans le business de la musique. Il faut vraiment que les artistes reprennent en main leur destinée et la musique en général. En plus, il faut commencer à repenser en entier les moyens de diffusion. Je connais plein de gens, y compris moi-même, qui n’achètent que 2 ou 3 titres d’un artiste à 0,99 euros. Ca devient dur aussi pour les artistes.
Comment se distingue donc ton label ? Bushhouse Records est un petit label. Et il a pour vocation de rester petit. Nous avons deux artistes plus moi pour le moment. Mais plus qu’un label, c’est une famille. On partage une philosophie, un toit, un label. Le but est de développer des connections personnelles avec l’artiste. On essaye de changer de manière positive la vision de la musique. Pour l’avenir, j’aimerai signer avec encore deux ou trois autres artistes. Pas plus. Mais que toute cette petite famille évolue ensemble, en suivant la même philosophie…
SEEED, Patrice, Ill Inspecta, Dr Ring Ding, Sebastian Sturm… la scène allemande se porte bien. Il y a effectivement beaucoup de groupes en ce moment. Le reggae a toujours été établi en Allemagne. Evidemment moins que le rock ou la techno, mais il y a toujours eu un mouvement reggae. Après il y a des périodes de mode. Je pense qu’il y a eu une mode du reggae en Allemagne il y a 2 ou 3 ans. J’ai beaucoup d’amis qui font des sound-systems là-bas. Et il y a deux ans, c’était toujours plein à craquer. Maintenant, il y a une baisse de la fréquentation. Ca fonctionne par cycle. Mais c’est plutôt bien au final car ça permet de revenir sur des bases plus saines, de reconquérir un public de vrais amateurs, avec des bons sons et pas seulement un hit à la mode.
Tu ne trouves pas qu’il y a quand même beaucoup de grands groupes allemands ? Oui, mais pas plus qu’ailleurs. Si on compare avec la France, vous avez aussi des artistes internationaux comme Pierpoljak et des artistes francophones comme Tiken Jah Fakoly. En fait, je pense qu’en Allemagne, les artistes reggae sont plus sous les projecteurs que dans le reste de l’Europe. Mais en France, il y a un réseau underground de musique reggae beaucoup plus important que chez nous. Il y a une vraie culture reggae ancrée qui existe indépendamment des différentes modes.
Quels rapports entretiens-tu avec la Jamaïque aujourd'hui ? Tu vois aujourd’hui c’est mon anniversaire, j’ai 34 ans. La première fois que je suis allé en Jamaïque, j’avais 17 ans. Et depuis j’y retourne très fréquemment. J’ai donc passé une demie-vie là-bas. J’adore ce pays et j’y ai passé beaucoup de temps pour la musique. Je ne sais pas si je suis reconnu en Jamaïque. Tout ce que je sais c’est que j’y ai beaucoup appris. J’ai passé beaucoup de temps dans les studios. J’ai toujours fait de la musique pour ma satisfaction personnelle et par amour du son, pas pour plaire à un public en particulier. Mais j’ai aussi eu de la chance en rencontrant les bonnes personnes au bon moment et au bon endroit : Sizzla, Morgan Heritage, Richie Stephens… Et beaucoup d’autres m’ont énormément appris. Le public jamaïcain est intéressant aussi car il est varié. Tu peux diffuser un message sans dogmatisme. Il y en a qui vienne pour ce message, d’autres qui viennent juste pour bouger sur le son. Mais ils sont plus durs à conquérir que les autres parce qu’ils ont des shows tous les soirs. Donc tu dois vraiment être bon pour te démarquer. Parfois, ils peuvent te balancer des trucs à la gueule sur scène s’ils n’aiment pas, mais quand ils sont contents c’est vraiment satisfaisant.
Le dancehall et les gun lyrics est beaucoup critiqué en Jamaïque aujourd'hui. Les artistes comme Mavado ou Bounty Killer existent et font de la musique avec des paroles violentes. Moi pas, mais je n’ai pas vécu la même chose qu’eux. Si j’étais né dans le ghetto et si j’avais grandi avec un flingue à la main, je chanterai sûrement la même chose qu’eux. Les paroles des chansons même lorsqu’elles sont violentes ne sont qu’un reflet de la société. Je pense qu’il ne faut pas les condamner. Après c’est l’éternel problème de l’œuf et de la poule : est-ce parce que les paroles des chansons sont violentes que cela entraîne une violence dans la société ? Ou est-ce parce qu’il y a de la violence dans le ghetto que les paroles de leurs chansons sont violentes ? Je ne pense pas qu’il faille les condamner.
Penses-tu qu’il y ait encore une place pour le reggae en Jamaïque ? Je pense que oui. C’est vrai que lorsque tu allumes une radio ou que tu vas à Kingston dans un sound system, il n’y a que du pur dancehall. Mais le reggae est toujours là. Dès que tu t’éloignes un peu des villes, le roots résonne dans les campagnes. Tu sens tout de suite la différence. Et la demande de bonnes vibes est tellement énorme, c’est tellement bon. C’est une vraie philosophie, une façon de s’exprimer beaucoup plus importante que le dancehall. Ca fait vraiment partie de cette terre, la Jamaïque est la mère du reggae et elle ne le trahira jamais. Dans le dancehall, il n’y a pas de message profond mais c’est ainsi. Alors que pour le reggae, le message ne change pas, depuis Gregory Isaacs ou Bob Marley, il y a toujours une vague de reggae porteuse de messages. Tu ne trouveras jamais de son roots dans les charts des radios, mais le reggae est toujours bien présent.
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