INTERVIEW :
Propos recueillis par : Alexandre Tonus
Photos : Benoit Collin
le mercredi 26 décembre 2007 - 9 568 vues
Il n'avait pas six ans quand il a enregistré ses premiers mots dans un micro. A bientôt quarante ans, Omar Perry en est pourtant au début de sa carrière discographique : il vient tout juste de sortir son premier album. Le fils de Lee Scratch Perry, qui a grandi en Jamaïque en côtoyant les gloires du reggae roots venus enregistrer dans le studio de son père, a préféré quitter l'île pour rallier Londres, puis la Gambie… avant de finalement atterrir en Belgique. Et son premier album, "Man Free" est produit le Français Guillaume "Steppa" Briard. Rencontre avec le fils du Sorcier.
Reggaefrance / Comment grandit-on en étant le fils de Lee "Scratch" Perry ? / J’ai la chance d’avoir un père qui a beaucoup fait pour le reggae. Jeune, avoir l’opportunité de vivre ça, c’était quelque chose d’énorme, que je n’ai peut-être pas complètement réalisé à l’époque. C’était magique ! Maintenant, j’ai grandi, j’ai eu l’opportunité de faire de grandes choses. Mon voyage continue et je me rends compte que j’ai un travail différent à faire : essayer d’apporter à l’Afrique une vibe différente. Le reggae était déjà là quand je n'y étais pas, mais ils avaient besoin de quelqu’un pour les informer et leur montrer ce que c’est que la musique roots, cette musique qui a été faite en Jamaïque.
En Gambie, on vit la vie qu’on vivait en Jamaïque, c’est comme si la Jamaïque de la vieille époque était revenue en Afrique. J’ai vu que ma mission ne se jouait pas en Jamaïque, c’est pourquoi j’ai décidé de m'installer en Gambie. J’ai réalisé qu’ils avaient déjà tout, ils en avaient même plus que moi. C’est assez hallucinant. J’ai entendu certains mecs chanter, ils sonnent comme des Jamaïquains. C’est comme ça qu’ils sont, ils ont ça en eux.
Beaucoup d’artistes chantent le rapatriement. Toi qui y es allé, tu penses que l’Afrique pourrait être un paradis pour rastas ? Ca pourrait l’être, car le paradis est un peu partout. Ca dépend de la façon dont tu veux vivre. Tu peux vivre en Afrique, tu n’as pas besoin de vivre dans une grande propriété, tant que tu as ce qu’il te faut à cultiver, que tu as ton bateau pour aller pécher… Plein de gens parlent de l’Afrique et n’y ont jamais mis les pieds. Moi, quand j’étais gamin, avec mes amis, certains disaient « Je veux aller à Londres », « Je veux aller en Amérique », « Je veux aller au Canada ». Dans mon esprit, ça ne pouvait être que l’Afrique. Beaucoup d’Africains, quand je suis arrivé, m’ont dit : « Je ne pense qu’à partir, et toi tu viens ici ? »
C’est peut-être parce que tu as grandi au milieu de tous ces vieux artistes rastas qui chantaient l’Afrique toute la journée ? C’est possible. Mais je sais que j’avais une mission, qu’il fallait que je le fasse.
Que te rappelles-tu de ces journées au Black Ark ? Je me souviens surtout de Junior Byles. Je le vois étendu sur le sol de la véranda. Il était déjà mal en point à cette époque, mais c’est quelqu’un de positif. C’est un peu mon second mentor.
De Gambie, tu as finalement rejoint l'Europe et la Belgique, pour quelle raison ? J'ai réalisé que mon travail là-bas était terminé. On m’a appelé pour faire des shows en Belgique, j'ai donc fait l'aller-retour. Mais on m’a rappelé pour revenir faire plus de shows. Je me suis rendu compte qu’il y avait une énorme chance à saisir pour moi. Il n’y a pas de scène reggae en Belgique. Il y a des artistes en tournée qui passent par la Belgique, mais localement, il n’y a personne.
On t’a souvent vu sur scène mais toujours en première partie. Frustrant ? C’est vrai. Mais tu es à un endroit aujourd’hui, tu seras à un autre demain. Il faut bien partir de quelque part.
C'est en Angleterre, avec Adrian Sherwood, que tu as sorti ton premier single. Oui, c'est lui qui a produit Rasta Meditation. Sa musique est tellement incroyable, elle est toujours vivante. Le single était très dub. Aujourd'hui j'ai décidé de refaire Rasta Meditation dans un style différent.
Ton nouvel album vient de sortir. Que signifie son titre, "Man Free" ? Ce n’est pas une allégation pour affirmer que nous sommes tous libres. Réfléchis à cela : de quoi sommes-nous libres ? La société d'aujourd'hui produit beaucoup de distractions. Tu en as tellement devant les yeux que tu ne peux même plus penser. Tu vois des éclairs, les images se succèdent à toute vitesse. Ca clignote. Mentalement, c’est comme s'ils essayaient de garder ton cerveau en activité afin qu'il travaille pour eux. Et si ton cerveau ne travaille plus pour toi, c'est qu'il ne t’appartient plus. C'est encore pire aujourd'hui. Si quelqu'un perd son boulot et se retrouve à la rue, les gens passeront devant lui sans le regarder. Car ce n'est pas leur problème. Ils n'ont pas de temps pour ça. Les gens se déplacent dans un mouvement robotique. Nous devons avoir conscience que nous avons le pouvoir de changer nos vies et nos destinées. C'est ce que dit le titre.
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