INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le lundi 28 mai 2007 - 35 366 vues
Cela faisait presque quatre ans qu'on ne l'avait plus entendu ailleurs qu'en 45 tours et sur compilations. La face reggae de Raggasonic a connu son lot de galères et de frustrations. Après le succès timide de "Ma voix résonne", c'est un Daddy Mory gonflé à bloc que l'on retrouve alors que son nouvel album "Reality" vient tout juste de sortir.
Reggaefrance / "Ma voix résonne" remonte à 2003, comment te sens-tu alors que ton nouvel album va sortir ? / Je devrais avoir la pression mais je ne l'ai pas. Je suis parti en Jamaïque pour réaliser l'album : une putain de bombe, franchement. J'ai rarement été aussi sûr de moi. Donc je n'ai pas la pression parce que je sais que j'ai un truc qui peut faire très mal. Je suis super-confiant, à 200%.
Pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps ? Quand j'ai été signé chez BMG et que j'ai fait "Ma voix résonne", ça ne s'est pas très bien passé. Entre-temps, j'ai repris le contrat et je suis resté un peu de temps sans boîte de production. J'ai continué à travailler, à sortir des compilations, des 45 tours. J'ai commencé à réellement travailler sur l'album en 2005. Je l'ai fait la tête reposée. Ce n'est pas seulement mon album, c'est un album d'équipe : c'est l'album de Dan, de Rudy Dread, d'Anka, de la Showsky Family. J'ai travaillé avec Mad Killah, Leevayah B, Mister Face, Apache, Harry Toddler. Il y a pas mal de titres qu'on a écrits ensemble. Même pour les projets solo c'est toujours un travail d'équipe : on se rejoint chez Face, et on écrit des textes.
C'est une nouvelle famille. Je ressens un peu ce qu'on ressentait on début de Raggasonic, cette vibration. C'est aussi un crew très cosmopolite dans les origines et dans les styles. Mister Face fait beaucoup de textes sur les femmes, il est très comique ; Mad Killah c'est plus notre Bounty Killer national ; Leevayah B est plus Rn'b dancehall ; Apache c'est le côté Madinina du crew, et Toddler le côté yardie. C'est un crew qui va durer longtemps et je suis fier de cet album où ils ont tous mis leur touche. Je leur dédicace, c'est notre album à nous tous.
Tu voulais travailler avec tous ces profils différents ? C'est important pour moi que tout le monde se retrouve dans cet album. Je ne voulais surtout pas tomber dans le piège de faire un album uniquement pour les Antillais. Je suis Antillais, tu vois, mais je suis né à Paris, j'ai grandi dans le 94, mes potes étaient des Portugais, des Arabes… Mes paroles se doivent d'être cosmopolites, à l'image de la France. Je me dois de chanter pour tout le monde. Pendant une période, j'ai fait pas mal de compilations One Riddim qui étaient faites à destination de la communauté antillaise, et j'ai pas mal joué dans les soirées antillaises. Il y a des gens qui me l'ont un peu reproché, parce qu’à l'époque de Raggasonic, on était vraiment cosmopolites. Après, je suis rentré grave dans le dancehall antillais. Mais j'avais besoin de mettre aussi en avant cette identité-là que j'ai en moi aussi, autant que l'identité malienne. Je n'ai pas de choix à faire, je dois prendre les deux au même niveau. Quand tu as réussi à parler à tout le monde, c'est gagné.
Tu as écrit les textes ? J'ai écrit certains textes seuls, et d'autres avec l'aide de la Showky Family. Pas mal de textes sont co-écrits avec Levvayah B, Face et Mad Killah. J'ai écrit quelques textes seul, comme Seigneur de Guerre.
Ca faisait longtemps qu'on ne t'avait pas entendu sur un sujet aussi sérieux, aussi politique… Le sujet est original. Je ne vais pas te mentir, j'étais au courant de la situation là-bas, mais c'est quand j'ai vu le film "Lord of War" que j'ai écrit le texte dès que je suis rentré chez moi. Le film te montre des choses à savoir, des choses qui font mal. Je me devais d'écrire une chanson sur ce sujet. Je suis un gars militant à la base, même si je suis là d'abord pour faire danser les gens, et leur faire oublier leurs problèmes. J'étais la partie militante de Raggasonic, on dénonçait des choses et on embellissait le sujet avec une jolie mélodie pour ne pas rendre le morceau trop morose. C'est ce que j'essaie de faire passer dans "Reality". Pas mal de morceaux vont faire penser à Raggasonic, ne serait-ce qu'au niveau des riddims, de la façon dont je me pose dessus… Il y a plusieurs morceaux qui te font penser à la suite de Raggasonic. Je suis fier de ça.
L'aventure Raggasonic reste exceptionnelle dans le reggae français. J'ai conscience qu'on a bercé une génération avec Raggasonic, et je n'ai pas envie de lui faire faux bond. Je veux l'honorer avec "Reality", c'est un album que j'ai d'abord fait pour cette génération. J'ai vraiment envie de les récupérer tous. La nouvelle génération me connaît grâce aux compilations, mais la génération Raggasonic, celle qui a trente-quarante ans, je veux la récupérer. Et je pense que je vais le faire avec cet album, je te jure.
Tu es nostalgique des années Raggasonic ? Non, pas nostalgique, parce que je ne regrette rien de Raggasonic, ça a fait ce que je suis aujourd'hui. J'ai tout appris : ce qu'est une tournée, enregistrer en studio, le professionnalisme comme arriver à l'heure aux rendez-vous (rires)… Je ne peux pas renier cette période. Big Red m'a appris beaucoup. Avant de travailler avec lui, c'était quelqu'un que j'appréciais beaucoup musicalement parlant. Quand j'ai pris le micro pour la première fois dans Soundjata en 1990 et qu'ils ont aimé mon style et m'ont invité à les rejoindre, j'étais très honoré. C'est comme si aujourd'hui tu rentrais à la David House (Capleton) ou dans l'Alliance (Bounty Killer). A cette époque-là, les deejays français étaient des extra-terrestres. Saï-Saï, pour moi, c'était des grosses stars. Ce sont ces artistes qui m'ont donné envie de faire du dancehall : Saï Saï, Little Dany, Saxo, l'homme à la brosse à dent, Pablo Master… Je ne connaissais que le dancehall jamaïcain, et ils m'ont fait comprendre que tu pouvais faire du dancehall français, avec la même vibration. Ils m'ont prouvé que c'était faisable.
On connaît tes problèmes à l'époque qui ont précipité la fin de Raggasonic. Mais y avait-il déjà une rupture musicale ? Je vais te dire un truc que je n'ai jamais dit en interview : même le premier album de Raggasonic a failli ne jamais voir le jour. On travaillait en 1994 à Londres, avec Alexis Lazare, qui faisait partie de Xpensive Crew. Avec Big Red, ils ont eu un litige, et Big Red a refusé de continuer à travailler avec lui. Moi je n'étais pas dans leurs histoires, je voulais continuer. Là il y a eu rupture. J'avais 17-18 ans, et je comptais rester à Londres. Seb Farran est venu me chercher pour me dire qu'il fallait qu'on se réconcilie, que je revienne à Paris, mais je ne voulais pas le suivre. C'est finalement mon frère qui m'a dit "Mory, va voir ce qui se passe à Paris". C'est là qu'on a commencé à faire des maquettes, et le premier album est sorti en 1995.
Et le deuxième album ? Ca a été un peu la même. Je n'en ai jamais parlé parce que je ne suis pas du genre à raconter ma vie, mais il y a eu des problèmes internes. Ces deux albums ont failli ne pas sortir, je te le jure. Dans ces conditions, il aurait été difficile de sortir un troisième album. Surtout que Big Red et Sébastien Farran voulaient faire un projet totalement cross-over.
Ca t'intéressait moins ? Ca ne m'intéressait pas. Je voulais rester dans l'optique Raggasonic, on avait déjà donné une image aux gens de groupe reggae. Si on avait fait un album de drum and bass ou de musique West Coast, ça n'aurait pas marché. Je n'étais pas d'accord.
On entend régulièrement parler d'une éventuelle reformation… Je n'y crois plus. Big Red m'a montré la couleur. Et puis ce n'est pas un problème, la vie continue et la musique continue. "Reality" sort bientôt, et c'est la suite de Raggasonic !
Pendant longtemps on a dit que Mad Killah avait un style qui te ressemblait beaucoup, et maintenant j'ai l'impression que tu as des styles qui ressemblent à ceux de Mad Killah. L'échange se nourrit… (il coupe) Mad Killah et moi travaillons ensemble, on écrit ensemble. Comme avec Leevayah B avec qui j'ai co-écrit la plupart des textes dans l'album. En Jamaïque, ils ont toujours travaillé comme ça. C'est carrément les producteurs qui sont à l'origine. Clive Hunt m'a raconté que, quand il a fait I can see clearly now avec Jimmy Cliff, il avait déjà le riddim et les paroles, et il a pensé à Jimmy Cliff comme le meilleur interprète. Et regarde le tube que ça a été. L'union fait la force.
C'est quelque chose qu'on n'a pas vraiment en France, on aime l'idée d'auteur plus que d'interprète. Dans la variété ils l'ont. Dans le hip hop on commence à l'avoir. Mais dans le dancehall francophone, un peu moins. Moi je suis un très bon interprète. Ca fait longtemps que j'écris mes propres textes tout seul. Co-écrire mes textes, c'est un exercice que j'ai commencé à faire fin 2005, début 2006. Pour moi c'est nouveau.
C'est signe de maturité artistique… Avant, pour moi ça touchait à l'orgueil. Tu tiens à écrire tes paroles. Les gars de la Showky Family me connaissent par cœur. Quand je te dis qu'on co-écrit les paroles, c'est qu'on est assis tous ensemble, je trouve mon flow, ma mélodie, et puis on cherche les textes. Chacun va apporter sa pierre. On a fait la même chose avec Face, qui prépare son album. On est tous là autour de la feuille en train de chercher les rimes. On est un vrai crew, et je suis fier de la Showsky Family. Avoir une famille, c'est très important. C'est pour ça que toute ma vie je leur serai reconnaissant.
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