INTERVIEW :
Propos recueillis par : Sébastien Jobart
Photos : Benoit Collin
le samedi 31 mars 2007 - 71 199 vues
De l'électro au dub, Dubmatix a franchi le pas entre son premier et deuxième album, "Atomic Subsonic". Puisqu'il ne chante pas Ce Canadien multitâche, musicien, producteur et ingénieur, il offre le micro à d'autres : des artistes canadiens, mais aussi Freddie McGregor et Anthony B. Croisement intelligent de roots, electro et dub, "Atomic Subsonic" était une belle surprise, et une bonne raison pour aller à la rencontre de Dubmatix.
Reggaefrance / Tu es le fils de Bill King, un pianiste de jazz-rock. Comment es-tu venu au reggae ? / Mon père jouait du rock, du jazz, mais aussi du reggae… de tout en fait. A la fin des années 70, il a quitté les Etats-Unis. Il était directeur artistique de Janis Joplin, et quand elle est décédée, il s'est installé au Canada. Beaucoup de Jamaïcains vivent à Toronto. Jackie Mittoo, Willie Williams, Leeroy Brown. Mon père jouait avec le batteur Pablo Paul, un bon ami à Jackie Mittoo depuis l'époque où il était en Jamaïque. Ils jouaient dans les alentours de Toronto, ce genre d'endroits. J'ai grandi dans cette ambiance, c'était mes premières influences. Ma mère était une grande fan de Bob Marley. Quand on a déménagé en Californie, puis à Atlanta, Georgie, elle a fait l'aller-retour Atlanta – Toronto pour le voir jouer. Quand il l'a appris, il l'a même fait monter sur scène.
Et la découverte du dub ? C'est Pablo Paul qui vit dans mon quartier, qui m'a donné un disque quand j'avais 18 ans. C'était "King Tubby meets the Aggrovators uptown". J'ai écouté cet album et ça a changé ma vie. C'était il y a dit ans maintenant, quand j'ai dit : "c'est ça la musique que je veux jouer". J'avais commencé en faisant de la dance music (rires). C'était facile : boom boom boom boom ! Un jour, j'ai mis un sample de King Tubby sur un de ces morceaux dance… et ça fonctionnait ! Ca donnait une sorte d'electro dub vraiment cool. Ca a donné Journey to the Center of the dub, sur mon premier album ("Champion Sound Clash", 2005). Tout ce que je fais maintenant vient de ce morceau.
Aujourd'hui, la scène canadienne récolte les fruits de la diaspora jamaïcaine des 70s. Oui, complètement. Il y a quinze ans, il y avait une scène reggae vraiment très active. Leeroy Sibbles s'était installé au Canada, il y avait beaucoup d'artistes populaires. Et beaucoup de clubs aussi, comme le Bambu, qui a du fermer. C'était dans les années 90. Après il y a eu ensuite une période un peu floue, je dirais de restructuration. Maintenant, il y a plein de groupes de reggae, de musiciens, de chanteurs… Aujourd'hui, c'est un peu la deuxième renaissance du reggae à Toronto. A Vancouver et Montréal aussi il y a une bonne scène. Il n'y en a pas beaucoup, mais elle est bonne, et s'améliore sans arrêt. Les clubs doivent tenter leur chance.
La pochette et le titre de "Atomic Subsonic" font très moderne, pour un résultat en fait très roots. C'était l'inverse avec ton premier album "Champion Sound Clash", très électronique. Oui la pochette de "Champion Sound Clash" donnait plus l'idée du roots. Ca vient du label. Quand on a sorti mon premier album ici, en France, un graphiste a réalisé une pochette, avec ce style. A l'époque, c'était justement pour indiquer que ce n'était pas exclusivement du reggae, on ne voulait pas tromper les gens. On a gardé le même design pour "Atomic Subsonic", qui a peu de tout aussi : dancehall, electro dub, et beaucoup de roots.
Champion Sound est un vrai hit. Vraiment ? Au Canada, les gens aiment Freddie McGregor, Fistful of dub, et My Selecta. Ici, tout le monde me parle de Champion Sound. J'adore cette chanson, ça fait très plaisir à entendre.
Comment s'est faite la connexion avec Freddie McGregor et Anthony B ? Je les ai rencontrés grâce à Bobby Treasure, qui travaille à Big Ship, le studio de Freddie McGregor. C'est grâce à lui que j'ai pu avoir les chansons. Je travaille d'ailleurs avec lui sur un autre projet. Travailler avec des artistes internationaux, c'est quelque chose que je veux faire de plus en plus : j'écris et joue de la musique, mais je ne chante pas. Je veux travailler avec un artiste français aussi.
Tu penses à quelqu'un ? Je dois encore y réfléchir. On m'a dit du bien de Baby G.
Combien de temps a demandé la réalisation de l'album ? Un an et demi. Ca a duré plus longtemps que pour le premier album. Au final, j'avais écrit 25-30 chansons. On en a gardé 12.
Il reste donc de quoi sortir un album entier… J'en ai deux autres, que je n'ai jamais sortis. On proposera les morceaux en B-Side, uniquement sur Internet.
Quel regard jettes-tu sur ce deuxième album ? Au moment du premier album, j'étais tout nouveau sur la scène canadienne. Je ne connaissais pas beaucoup de chanteurs, c'est pourquoi Fredlocks et Keuben apparaissent sur la plupart des titres. Pour "Atomic Subsonic", j'ai eu le temps de rencontrer plusieurs chanteurs. Du coup, j'ai pu essayer plus de choses. La sélection s'est faite après coup, j'ai conservé les chansons que je préférais. J'ai demandé à mon père de déterminer l'ordre du tracklisting, parce qu'il est très doué pour ça.
Ton troisième album sera encore plus roots ? D'abord, il y aura un album de remixes que je réalise avec Bobby Treasure. Ca s'appellera "Dubmatix meets Treasure Chest".
L'autre projet dont tu parlais tout à l'heure ? Oui, parfaitement, je récupère toutes les parties vocales et je réécris les musiques. Il sortira en septembre au Canada, et arrivera sûrement en France l'année suivante. Il y a déjà pleins de noms : Turbulence, Jah Mason, Luciano, Natural Black, Georges Nooks, Half Pint… Il y aura du roots mais je vais aussi amener un peu de drum & bass là-dedans. Ce sera un album un peu à part. Mon "vrai" troisième album sera lui définitivement roots.
L'industrie du disque est au plus mal. Est-ce quelque chose à laquelle tu as pensé au moment de te lancer ? J'y ai pensé et j'y pense parce que je travaille aussi le côté business de ma musique. Il n'y a pas d'argent c'est évident. Pour tous les artistes indépendants, il faut payer : pour faire ses dubs, ses enregistrements… Mais je pense aussi que c'est peut-être la meilleure époque pour être indépendant. Le truc, c'est que je ne crois plus aux majors : ils peuvent avoir 300 artiste sur leur label, mais seulement cinq qui vendent beaucoup. Donc ils vont se concentrer sur ces cinq artistes-là. Les autres sont coincés par leur contrat, sans rien pouvoir faire d'autre. Il y a du bon et du mauvais, bien sûr, mais dans des genres aussi spécialisés que le reggae ou le jazz, c'est mieux d'être indépendant. Les ventes baissent ou stagnent dans le meilleur des cas : on ne peut plus gagner sa vie en vendant des disques. C'est comme si on retombait dans la situation de la fin des années 70, et du début des années 80, avant le CD : il fallait aller jouer en live. C'est le bénéfice d'Internet : maintenant, tu peux te faire un nom, au moins montrer ton travail. Même si c'est gratuit, tu te fais connaître des gens.
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