INTERVIEW :
Propos recueillis par : Maxime Nordez
Photos : Catherine Geiss - www.reggaelution.net
le jeudi 28 décembre 2006 - 11 836 vues
Nous avions rencontré Clinton Fearon alors que venait de sortir "Give & Take", superbe album de roots concocté à Seattle en 2004. Depuis sont sortis l'acoustique "Mi and mi guitar" (2005) et le tout récent "Vision", son sixième album qui vient d’arriver dans les bacs. L'ex-Gladiator revient avec nous sur le travail accompli ces dernières années.
Reggaefrance / La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était pour la sortie de l’album "Give & Take" en 2004. Depuis, tu n'es pas resté inactif. / J’ai fait "Mi an Mi Guitar" qui me surprend vraiment car il continue de bien se vendre. J’ai aussi avancé sur un projet du nom de Faculty of Dub. C’est un projet qui a commencé en même temps que le projet "Vision", suite à ma rencontre avec Nelson Miller, l’ancien batteur de Burning Spear. On a commencé à jouer tous les deux et à écrire du basse-batterie. Suite à ça s’est ajoutée la partie de cuivres pour laquelle on a ajouté un trombone. On a ensuite ajouté des percussions et quelques parties vocales avec Ire. J’ai tout de suite proposé à Nelson d’aller enregistrer ça en studio. Au final, ces enregistrements sont devenus "Vision". Plus on avançait plus j’avais envie de "remplir" ces parties dub. Mais l’idée de sortir un dub-album tient toujours (rires).
Raconte-nous l’aventure "Give & Take"… Je suis très heureux car tout le monde s’accorde pour dire que c’est un bon album. Ce n’est pas une grosse société qui s’en occupe donc en termes de ventes, cela n’est pas énorme. Mais je sais que le gens de Sankofa Black Star le défendent bien et trouvent de bonnes connexions. On le vend beaucoup via notre site internet et une plate-forme de téléchargement à la I-Tunes basée à Miami. On continue d’en vendre beaucoup lors de nos concerts.
N’est-ce pas difficile de rendre ton album disponible aux quatre coins du monde ? Oui, c’est le plus gros problème : la distribution. Je suis trop petit en tant que producteur pour atteindre les grosses compagnies qui distribuent des milliers d’artistes. Ce qui les intéresse c’est la distribution de labels. Ce serait plus facile si j’avais un catalogue d’une centaine d’albums. Ils ne voient que les chiffres. Cela ne m’intéresse pas trop. C’est une autre sphère et un monde à part entière. Je pourrai me pencher là-dessus mais je sais que j’aurai très vite envie de reprendre mon travail de création. C’est ça mon business et rien d’autre.
Sur "Mi an Mi Guitar", il y a Richman Poorman, un morceau de ta période Gladiators. C’était important de rappeler d’où tu viens ? Je me suis juste demandé quelles chansons pourraient être plus belles que les autres en acoustique. Je les ai choisies indépendamment de toute autre considération. Il y a aussi « Too long too long… » (il chante) (Street of Freedom, ndlr).
Je me suis dit que tu voulais peut-être rappeler à tous que tu étais un Gladiator… Ce n’est même pas ça. D’ailleurs c’est amusant de voir qu’à l’heure actuelle, les jeunes ne connaissent pas forcément cette partie de ma carrière. La seule raison qui m’a fait enregistrer cet album est mon message. J’arrivais avec une bonne chanson et je me rendais compte que le message se trouvait dilué dans mes choix d’instrumentations. Au final, ce que je voulais dire n’était pas vraiment entendu. Avec le choix de ne prendre qu’une seule guitare, le message est évident et la musique ne peut interférer sur le mot. C’était une façon pour moi de me concentrer sur la voix.
Avec le recul, es-tu satisfait du résultat de cet album acoustique ? Oui. Si je devais le refaire, je ferais quelques modifications. J’ajouterai une légère basse sur certains morceaux, des petites percussions... Je "remplirai’"un peu plus chaque morceau. Mais je pense que je rééditerais cette expérience, c’était très cool.
On entend un violon sur le premier titre, qu’as-tu voulu faire en utilisant cet instrument ? Obtenir des sons différents ! Je pense que tous les types de sons peuvent trouver leur place. J’ai cette idée d’une alchimie sonore en termes d’harmonie, comme un ressenti supérieur, harmony wise ! (rires) Ces idées de mélanges sont venues après l’enregistrement de "Mi an Mi Guitar". J’avais mon idée en tête et je voulais essayer d’autres possibilités. J’ai utilisé le Marimba sur Jah Know His People et on utilise toujours beaucoup de percussions. Reggae music peut tout absorber, tout dépend de la façon dont on l’utilise. La grande nouveauté sur cet album c’est que j’assure les lignes de basse sur 9 morceaux. Cette fois, avec Nelson, on a réussi à changer un peu les choses.
Quand j’ai écouté "Vision", il m’a semblé entendre le deuxième épisode de "Give & Take"… C’est comme grimper une montagne. Tu poses un pied après un autre et tu essaies d’être meilleur à chaque pas. Tu passes les étapes une par une et tu te renforces. Pour moi, c’est valable pour les vocals, les paroles. J’ai vite vu qu’il y avait des chansons trop ‘love’ peut être trop légères sur "Give & Take". "Vision" est pour moi un album très sweet. Il a un message… mais mon message, mes messages restent toujours les mêmes ! C’est comme si j’écrivais depuis le début une seule et longue chanson (rires). Le message est « Hé Man ! Et si on arrivait enfin à vivre ensemble ! ». Pour notre cause, nous n’utilisons pas de méthode académique mais une méthode spirituelle. Nous sommes là pour élever la conscience et les valeurs de chacun. Parce qu’aujourd’hui, on cherche à être plus puissant que les autres. On oublie l’essentiel. De profiter de la beauté de la Nature par exemple.
Quelle est cette vision qui donne son titre à l'album ? Comme le dit la chanson, c’est la vision d’un lendemain meilleur. Le monde vit actuellement une crise et cela fait des années. On se rend compte que la crise s’amplifie. Sur "Give & Take" tu trouvais des chansons comme Blood for blood et d’autres assez négatives. Cet album voit les choses de façon plus positive. C’est plutôt de dire : si tu penses que ce que tu fais est juste alors tu seras heureux. Je me suis donc dit, si ma vision est bonne, le bonheur arrivera (rires).
Tu as travaillé différemment sur le son ? J’ai cette fois prêté plus attention à des aspects que je négligeais. J’ai essayé de faire le tri et d’écouter ma musique de façon très critique. Je pense qu’en termes de production, j’obtiens ici un meilleur résultat.
Comment te fais-tu aux nouvelles façons de consommer la musique ? C’est très dur. Il faut juste s’y frotter, tu n’as pas le choix. Personnellement je suis resté au vinyle. Il a en lui une vibe artistique qui coïncide avec la musique elle-même. Tu en prends soin, c’est fragile… (Il montre la table) C’est comme posséder cette table. Tu l’aimes parce qu’elle a du caractère. Tu ne t’attacheras pas à une table en plastique (rires). On est donc passé au cd et maintenant au… I-Pod. Je ne comprends rien à tout ça ! Mais quelqu’un s’occupe de mes affaires afin que je sois présent et disponible sur internet. Je pense qu’il vaut mieux continuer de travailler plutôt que de se plaindre du système.
As-tu des nouvelles d’Albert Griffiths ? La dernière fois que je suis allé en Jamaïque, j’ai cherché à le voir et je suis tombé sur son fils Al. Il était sensé le trouvé pour moi mais n’a pas pu. Depuis que je sais qu’il est malade je ne l’ai pas revu. Je l’ai vu pour la dernière fois il y a trois ans en Sierra Nevada, on était monté sur scène ensemble. Il est gravement malade et c’est pourquoi son fils Al le remplace. J’ai appris que c’est une maladie incurable. Il a ce qu’a eu Cassius Clay, le syndrome de Parkinson.
Comment as-tu pris la mort de Joseph Hill ? Cela m’a vraiment choqué. Je connaissais vraiment très bien Joseph. Nous étions dans la même école. On jouait, on dessinait ensemble étant enfants. On était de bons amis. On s’est retrouvés à Kingston à faire de la musique. A un moment, alors que l’on vivait encore dans les montagnes, on a décidé de partir pour Kingston. On était des gamins, ça n’a pas marché (rires) ! J’avais oublié cette histoire, c’est Joseph qui me l’a rappelé ! C’est Nelson Miller qui m’a appelé pour me dire que mon frère Joseph était parti. Ca a été dur mais on vit, on meurt, nous le savons tous. La mort n’est pas une fin c’est une transition. Il faut voir le côté spirituel de chacun de nous. Il est en nous et existe sans nous. Tu viens à la vie et tu retournes à la vie. Tu reviens sous différentes formes… mais là je vais sûrement trop loin !
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