INTERVIEW :
Propos recueillis par : Charlyman
le vendredi 01 juillet 2005 - 13 057 vues
Le concept « Double Trouble » des pionniers Typical Féfé et Tiwony est de retour dans les bacs avec ''Révolution'', leur deuxième album en commun (sorti le 29 avril, ndlr). Un opus plus peaufiné et plus riche que le premier, avec un gros travail réalisé en Jamaïque. Les deux hommes sont loquaces et disponibles : ambiance détendue pour une interview à bâtons rompus.
Reggaefrance / Pouvez-vous nous expliquer où vous avez grandi, et revenir brièvement sur vos débuts dans la musique ? / Tiwony : Je suis un citoyen de la Terre qui est né en France, de mère déportée Africaine Guadeloupéenne et de père Camerounais. J’ai grandi en Guadeloupe pendant 15 bonnes années… Depuis tout petit je suis influencé par tout ce qui est culturel, spirituel, tout ce qui est différent du système établi et tout ce qui est juste…
Au début, je crois que ton père n’était pas vraiment d’accord pour que tu te lances dans la musique ? Tiwony : Exact ! Au début mon papa n’était pas d’accord du tout… Je suis arrivé à la musique par la rue, par le sol, le plancher, comme dirait Féfé ! En Guadeloupe, c’était l’arrivée des trucs comme Shabba, des premières compiles Chich, Rappattitude, des premiers artistes locaux qui émergeaient, de Tonton David et son « Peuple du monde »… J’évoluais un peu dans cette vibe parce que vraiment je me reconnaissait dans des messages comme ceux de Féfé, Nuttea, Janik… Après avoir fait « l’école du tournevis »… (rires) - comme quoi un mal amène toujours un bien si tu sais justement prendre conscience des choses au bon moment - j’ai été vers la musique et tout ce qui est sound system avec Influence Sound dès 1994. Ensuite, il y a les frères de métropole qui ont commencé à venir au pays, dans les sound que nous faisions. On retrouvait alors des gens qui avaient déjà sorti des trucs comme AZR, Féfé, Janik, Jah Mike, Dalton, Standtall... Cela a vraiment conforté le mouvement là-bas et généré des connexions qui ont fait que je suis vite monté à Paname. Je suis allé chez mon père, qui n’était pas trop chaud à l’époque ! Mais j’ai fait mon petit bonhomme de chemin jusqu’à ce que je lui ramène les CD, qu’il se rende compte qu’il y avait un vrai boulot, et que je lui montre que c’était vraiment ce que je voulais faire. Aujourd’hui, avec mon père, nous arrivons à fusionner et à faire de la musique ensemble.
Féfé : Moi je suis un rejeton de la famille Pembili issue du Togo et arrivée par bateau dans l’île des Antilles Françaises que l’on appelle Martinique. J’ai grandit et suis né en France, en 1968. L’année de cette « révolution » ! Je suis donc un pur produit de cette année là : un homme qui se marginalise dans tout ! J’ai aussi reçu l’éducation de mon père qui était comme un papillon dans cette vie. Il voyageait entre plusieurs métiers… J’ai un peu hérité de ce côté voyageur, nomade. Je n’ai pas d’endroit fixe où je reste. Ce combo a fait de moi ce que je suis aujourd’hui, un artiste revendicateur qui sait que son point de chute sera l’Afrique. Je sais aussi que je suis venu ici en mission, une mission amicale qui vient parler de bonté, et que je la fait passer par la musique, le meilleur ciment entre les peuples… Je voudrais parler de ce qui se passe à l’heure actuelle parce que l’album « Révolution » c’est justement l’essence de toutes ces années de travail que j’ai faites.
Après le bon accueil de ''Double Trouble'', votre premier album, quelle était l'orientation de ''Révolution'' ? Tiwony : Nous avons voulu que ce soit une continuité et une confirmation du premier travail. Celui-ci s’était fait un peu dans le « rush ». Nous sommes très satisfaits de cet album mais nous savons que nous aurions pu ajouter quelques touches, ce que nous n'avons pas fait à cause de moyens limités. Ce nouvel album a été beaucoup plus peaufiné. Il y a plus de maturité musicale. Notre premier projet ensemble a aussi noué et conforté des liens qui étaient déjà forts. En apprenant à se connaître, à vivre ensemble, à être ensemble tous les jours, nous sommes entrés dans ce qu’on appelle le « Oneness » : l’Unité dans tous les sens du terme. Cet album a donc été plus riche en vibes ! Et puis, nous avons voyagé aussi. C’étaient des objectifs que l’on s’était donné dès le départ, parce que nous avons toujours été ouverts à tout style de musique. Nous écoutons aussi bien du Roots, du Dancehall, et tous les autres styles musicaux qui nous bottent : la soul, la salsa, le zouk, tout ce qui est autour de nous. Nous avons pris le temps de faire une alchimie de toutes ces musiques qui nous font vibrer, pour pouvoir exprimer notre message, un message que l’on a médité, le reflet du peuple. Il faut prendre le temps de réfléchir, de penser les choses, parce qu’on dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, mais on se doit de le dire de manière concise, réfléchie et ordonnée.
On sent que ''Révolution'' est un album qui vous ressemble. Dans le choix des riddims, des ambiances... Féfé : C’est vrai. Comme disait Wony, nous avons repris la même équipe. Nous connaissions nos points forts ! Nous avons travaillé ces points pour éliminer tous nos points faibles. Sans oublier, pour autant, que nous faisions de la musique pour les gens… J’insiste sur cela. Nous avons énormément pensé à notre public. Nous avons fait des choix originaux, comme Bole Bolo ou Tu danses qui sont des morceaux hors-marché, si l’on peut dire. Mais nous avons toujours eu ce souci, même dans l’originalité, de coller tout de même à une tendance et de toujours donner aux gens des repères dans notre musique pour qu’ils ne se sentent pas complètement perdus. Pour le morceau Tu danses, c’est une vibe très « Sean Paulesque », avec un refrain en gimmick qui revient facilement, un son qui est semblable au « Tamale »… Nous n’avons pas cherché à être complètement puristes. On s’est ouvert ! Nous avons fais une sorte d’alchimie entre ces tendances musicales du monde actuel et notre propre particularité, notre propre couleur, de façon à ce que cela donne un « combo » de musique qui soit riche. Dans ''Révolution'', tu trouves du Reggae, du Dancehall, du Zouk, Makusa, « all music » ! C’est l’Afrique, quoi ! (rires). Et comme nous serons sur scène, nous voulions que les gens ressentent cette énergie scénique dans l’album. Il faut que quand tu l’écoutes, tu aies envie de bouger, envie de couper la canne ! (rires).
Il fallait donc obligatoirement passer par la Jamaïque ? Féfé : Effectivement ! Wony est l’initiateur de ce mouvement parce qu’il avait déjà été chez Roy Francis par le biais de Maffé. Il avait été accueilli comme un enfant du pays. Donc il m’a convié à revenir avec lui. Le maître des lieux lui avait dit qu’il nous hébergerait et que l’on s’arrangerait pour le financement. Il m’a vraiment convaincu qu’on pouvait aller y faire un bon travail. Quand nous sommes arrivés, nous avons été bien reçu par Master B à Mixing Lab. Nous avons travaillé pendant 12 jours, non-stop. On était hébergés juste au-dessus du studio. On s’asseyait sur le petit balcon et on regardait le défilé des artistes dans la cour. C’était hallucinant ! Je vous laisse imaginer… On a croisé Capleton, Innocent Crew, tous les artistes oldies : John Holt, Gregory Isaac et même Simpleton, paix à son âme. Il y avait toujours du monde qui défilait. Le premier qu’on a vu c’est Ricky General et tout de suite il a réagit ! J’ai dit à Féfé : « Regarde, il bouge la tête sur le son ! » C’est quand même un kiff de voir les gars écouter. On a vu aussi New Kidz, Captain Barkay, Wickerman, Thriller U, Danny English, Tony Curtis, Reagan, Anthony Redrose, Chicken....
Comment avez-vous fait vos choix de featurings ? Tiwony : A la base, nous étions partis pour faire un seul featuring. On voulait vraiment check des frères à notre niveau. On voulait quelque chose d’humain, une vraie vibe, pas un concept commercial. Il fallait qu’on sente que l’envie soit réciproque. C’est comme ça qu’on fonctionne et d’ailleurs c’est comme ça que des artistes comme Determine fonctionnent. Il nous a été présenté par Roy Francis. Il a capté notre vibe, entendu ce que l’on faisait, et c’est par rapport à cela qu’il a dit « banco ». Pour Future Troubles, la même ! Quand je suis venu la première fois, j’avais mis plein de stickers partout. Je lui montre : « Ouah ! Double Trouble ! » (rires). Il a écouté, fredonné, et il m’a dit : « Man, il faut qu’on fasse un truc ». Quand on a enregistré, c’était la première fois qu’il s’asseyait pour écrire un lyrics. Ca a donné le texte No Misleader. Et aussi des spéciales dubplates counteract ! Subionic, tu connais ? (rires). C’étaient de bonnes vibes ! Sketalina, c’est un breda de Féfé. C’est un morceau qui devait être posé à quatre, avec Masta, mais il était vraiment trop hardcore dans le slack. Nous sommes assez rigoureux à ce niveau là : on ne veut pas dire n’importe quoi. On a des enfants ! On veut vraiment rester « clean », même si on peut rentrer dans des délires un peu « fun ». On garde certaines limites, une certaine droiture.
Alozade est venu avec le Chrome Riddim et nous l’a donné gracieusement, c’était vraiment la vibe ! Et puis dans l’album, il y a des musiciens comme Danny Axeman, Sly Dunbar, Paul B de Fat Eyes et Chester Walker du label Very Huge qui ont mixé. Il y a Skully Sims, du Jamaican All Stars, le premier artiste jamaïcain a avoir posé sa voix sur un 45t. Il nous a fait un petit cours d’histoire sur le reggae. C’est un percussionniste incontournable; il faisait les percus pour Peter Tosh notamment. Johnny « Dizzy » Moore, des Jamaican All Stars, nous a fait les trompettes et les filles de Earl Chinna Smith, Maria et Soulane, sont aux cœurs sur une bonne partie des morceaux reggae. Ce sont des connexions de Roy Francis, un peu ses amis. Il y aura un DVD, bientôt, en édition spéciale : « Pull Up TV », qui va retracer notre parcours en Jamaïque.
Et au niveau des artistes locaux ? Tiwony : Oxmo est un frère que l’on connaît déjà depuis pas mal d’année. Il est très proche de l’équipe. Il nous a montré plein de trucs au niveau des petits rouages du business en France parce qu’il avait déjà un pied dans les Majors. Manu Key, c’est un peu la même famille : Oxmo, AP, Manu Key. Orly – Choisy – Vitry ! Ce sont des frères qui donnent une image assez forte du mouvement parce qu’ils ont du charisme, ils emmènent des trucs derrière eux. AP, Manu Key, ce sont des frères avec qui nous avons déjà collaboré et qui ont toujours manifesté l’envie de faire des choses avec Féfé. Ils sont bien branchés Sound System : ce sont des gars qui vont acheter leur 45t à Bluemoon ! Ils nous ont invité pour ''Zone Caraïbe'' - c’est un projet qui arrive en ce moment - et ça a donné la chanson Timal. On a trouvé que c’était un titre qui collait bien au concept de l’album. Il y a Straika, et mon père aussi, Vicky Edimo, pour un morceau auquel on tenait beaucoup. Cela faisait un moment que nous avions émis l’idée de faire un titre ensemble. On a été bosser dans son Zion, chez lui, à la campagne. Ca s’est vraiment fait dans une bonne osmose, et très vite en plus. Il y a également Original B, sélecteur de Blackwarrel et bassiste qui a fait le riddim de l’Eden C’est Là. Lasquez nous a fait deux titres : Nou Pani Tan A Ped et Maltraitance. Pour moi, c’est un peu le « Corleon local ». Il peut aussi bien te placer des trucs bien Dancehall et te surprendre avec du pur Roots. Big up également à Francky, « Mister Genius » ! Sinon, j’ai composé le morceau Yen Ki Sex et nous avons composé un morceau ensemble avec Patrice, Féfé et Sly : Revolution. Sur chaque titre, chacun a mis ses vibes. Il faut que le truc vive, que l’on sente que l’on a travaillé pour lui donné une couleur originale. Comme le Chrome, il y a des gens qui ne le reconnaissent même pas sur Pop It Off ! Francky a fait des arrangements bien originaux.
Pourquoi avoir choisi ce titre d’album ? Tiwony : Par rapport à la situation actuelle. C’est une prise de position : là, on ne fait pas dans la demie-mesure. Que ce soit spirituellement ou musicalement, on a fait ce que nous voulions faire et nous n’avons pas fais la musique que l’on nous a dit de faire. Nous avons également voulu avoir un message dans lequel le peuple sente qu’il est aussi investi, qu’il est aussi un maillon de cette chaîne. Nous sommes juste un miroir pour eux. Il faut qu’ils sentent qu’eux aussi prennent part à cette révolution. Que ce ne soit pas juste un message pour danser, que ce soit un message pour passer à l’action, réfléchir… De la même façon que l’on écoute Bob Marley ou Tiken Jah Fakoly… Il faut une révolution au niveau des mœurs, prendre la parole que Dieu nous a envoyé, le plus simplement possible. Même si l’on sait que l’Homme est pécheur, que personne n’est parfait, il faut déjà se tenir à des valeurs simples et fondamentales : le partage, la charité , l’unité dans l’action… Il faut vraiment soutenir ces causes. Il est important aussi qu’il y ait une révolution à l’exemple d’hommes comme Martin Luther King : des révolutions pacifiques qui peuvent passer par la musique, par le sport… Il faut montrer que l’on peut s’établir sans forcément être des suiveurs et sans forcément être marginaux. On peut être un système dans le système, tout en respectant les lois qu’ils ont fait…
Et pour les projets ? Vous allez continuez à bossez ensemble j'imagine ? Féfé : Effectivement ! Nos projets solos, c’est pas dans l’immédiat ! A part des mixtapes qui retraceront nos parcours respectifs. Tous les morceaux qu’on a fait avant et que les massives nous demandent souvent de ré-entendre.
Tiwony : Et quelques inédits aussi
Féfé : Ca, ça sera les petits bonus tracks. C’est pour ceux qui veulent retrouver les anciens morceaux de Wony, comme Jah est à l’honneur ou les miens comme Il sauve ou Mumia… Pour les gens qui ont vraiment soif de retrouver ces anciennes productions.
Et avec Blackwarrell ? Féfé : Bien sûr, toujours ! Maintenant, nous avons décidé de travailler uniquement par nos propres réseaux. Nous avons compris que le tout était de développer un circuit interne, si l’on peut dire. Créer une chaîne de contacts qui permette de faire un vrai circuit depuis la production, en passant par l’artistique et jusqu’à la fabrication, la presse. Nous ne pouvons pas compter sur les Majors et certaines maisons de productions parce qu’elles ne sont pas concernées par cette musique, ni par son avenir. Pour elles, c’est juste une source d’argent et dès que la source sera tarie - selon eux, parce que le reggae ne se tarira jamais - ils nous mettrons à l’écart. Nous savons très bien que nous devons rester un maximum indépendants. Des choses peuvent être intéressantes, mais nous préférons travailler et développer notre propre réseau de façon à ce qu’après, ces portes qui se seront peut-être ouvertes, ne soient plus fermées… C’est le problème quand tu travailles en Major, tu deviens un artiste isolé. Dès l’instant où tu as passé la porte d’une grosse maison de production, elle se referme derrière toi ! Tout ton possee, tout ton crew, tous ceux qui t’ont amené là, toute ta base, tu es obligé de les laisser derrière. Nous, nous voulons rester et travailler avec les gens qui font que l’album ''Révolution'' est aussi riche. C’est parce que l’on a cru en des gens qui sont restés fermes sur leurs positions malgré les temps difficiles. Et cela a créé un noyau de personnes qui se font confiance, qui se connaissent mieux musicalement et qui peuvent mieux s’aiguiller.
Que pensez-vous du développement du mouvement local ? Quel peut-être son avenir ? Tiwony : Féfé et moi le remarquions : il n’y a pas beaucoup d’albums solos qui sortent au niveau de la scène locale. Mais ceux qui sortent sont de qualité : Jamadom, Straïka, Admiral T, Big Familly, Sir Samuel… Ce sont des albums biens étoffés. Avant, il n’y en avait qu’un ou deux : Raggasonic, Daddy Mory, les Neg Marrons... Maintenant tu te rends compte qu’il y a quand même un panel d’album biens travaillés, lourds ! Et il y a encore pas mal de chose à venir… Ce qui est d’autant plus rassurant, je dirais, c’est que pour la plupart des choses de qualité qui sortent, ne sont pas le produit des Majors. A deux ou trois artistes près… Cela donne l’exemple aux frères de prendre leur temps, de peaufiner leur boulot et d’étudier aussi. Le Reggae, le Dancehall, c’est une école, et ça passe par les sound systems. Les artistes qui suivent la scène des sound systems depuis longtemps commencent à éclore. Des gars comme Jamadom, comme Straika, Admiral T ! Même au niveau des Mixtapes : elles sont de plus en plus de qualité, quand tu écoutes ''Black Unite'', ''Dirty Wash'', ou ''Terrorist'' de Sam X et Saïk de Mortenol District, des petits jeunes hyper « opé » avec leur studio. Il y a aussi des compilations lourdes et d’autres qui arrivent avec des DJ issus de cette scène locale comme ''San Kombin'', ''Hold Up'', ''Killa Session'', celles de Mek it Happen, qui travaillent vraiment sur l’authenticité. C’est important de ne pas prendre une partie du mouvement et puis de le vulgariser n’importe comment. C’est comme si tu manquais de respect à tout le mouvement. Comme disais Shabba : « You better respect the older entertainer ! » Même des gars « slack » comme Shabba Ranks ont toujours tenu à marquer ce respect pour la fondation, pour la culture.
|
|